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Kazakhstan : la diffusion de messages religieux toujours répressible

Une journaliste kazakhe a été condamnée pour avoir fait l'interview d'un imam. Cet événement, loin d'être isolé, est une manifestation de l'emprise que les autorités cherchent à avoir sur l'information qui circule à l'échelle nationale.

Rédigé par :

lmorvan Emma Jerome 

Traduit par : Hannes Khetib

Cabar (26 septembre 2022)

Mosquée religion Kazakhstan
La mosquée Hazrat Soultan à Astana. Photo: Département d'Etat des Etats-Unis.

Une journaliste kazakhe a été condamnée pour avoir fait l’interview d’un imam. Cet événement, loin d’être isolé, est une manifestation de l’emprise que les autorités cherchent à avoir sur l’information qui circule à l’échelle nationale.

L’emprise des autorités au Kazakhstan sur l’information, notamment sur ce que véhiculent les textes religieux, est encore bien présente. Cela avec l’objectif d’éviter que d’éventuelles idées hétérodoxes, par rapport à ce qui est dit dans la sphère politique, ne fassent tâche d’huile dans la société.

La législation kazakhe soumet ses citoyens à une situation paradoxale : n’importe qui peut être puni pour avoir relayé tout contenu religieux, de quelque nature, qu’il soit extrémiste ou non. La loi punit d’une amende quiconque vend le Coran ou un autre livre religieux sur des sites de petites annonces, ou bien publie les déclarations d’une autorité religieuse.

Le cas Roufiya Moustafina 

En juillet 2022, à la veille de Kourban Aït, nom donné en Asie centrale à l’Aïd al-Adha, une journaliste de Petropavlovsk, Roufiya Moustafina, publie une interview avec l’imam principal de la mosquée centrale de Kyzyljar, Khamzat Adilbekov. « Dans cette interview, l’imam parle des traditions et de la culture de la célébration de la fête officielle de Kourban Aït. La vidéo a été publiée sur ma page Facebook », explique Roufiya Moustafina sur son compte Instagram.

Cela ressemble à un contenu habituel pour une journaliste. Mais après sa publication, la police a ouvert un dossier administratif pour relai de contenu à caractère religieux « au mauvais endroit ».

Le tribunal reconnaît Roufiya Moustafina coupable en vertu de l’article 490 du Code des infractions administratives sur les violations des exigences relatives à la distribution de littérature religieuse et d’autres contenus à caractère religieux. Les exigences elles-mêmes sont contenues dans la loi « sur l’activité religieuse et les associations religieuses ». Elle prescrit que ces contenus ne doivent être distribués que dans les lieux de culte, les établissements d’enseignement religieux ou dans des locaux spécifiquement désignés par les autorités.

Au début, Roufiya Moustafina est condamnée à une amende équivalente à 153 000 tengués (314 euros). Mais cette amende peut monter à 636 000 tengués (1 300 euros). Plus tard, la cour d’appel a réduit la peine de la journaliste, « en raison de l’insignifiance de l’infraction commise »« Si nous considérons les sites Internet comme des médias de masse, nous pouvons alors être condamnés à des amendes pour des souhaits de bonnes Pâques ou pour l’Aïd al-Adha », commente le spécialiste religieux Aleksandr Antipine pour le média régional Cabar.  

La permission est indispensable

L’affaire de la condamnation de Roufiya Moustafina est la plus retentissante en 2022, mais pas la seule. La plateforme de la Cour suprême de la République du Kazakhstan affiche 107 affaires administratives examinées en vertu de l’article 490 du Code des infractions administratives en 2022, 103 en 2021 et 118 en 2020.

Parmi les centaines de personnes qui sont tombées sous le coup de cette loi se trouve Tatiana, une résidente d’Oust-Kamenogorsk. Elle a écopé d’une amende pour avoir vendu le livre Bible Tales. Paroles des évangélistes. La femme explique au tribunal qu’elle vendait le livre parce qu’elle n’en avait pas l’utilité. « Je ne savais même pas que c’était interdit », a-t-elle déclaré. L’examen a reconnu le livre lui-même comme religieux, mais ne contenant rien d’illégal.

Zarina, propriétaire d’une boutique de vêtements musulmans dans le district d’Akjaïk, dans la région du Kazakhstan-Occidental, a déclaré à Cabar qu’elle vendait un livre sur la prière, Namaz okyp Yireneïyk !, « apprenons à prier » en kazakh. Celui-ci parle de l’éducation des enfants dans un cadre religieux ; elle a acquis des exemplaires sur le site kitapal.kz.

« De manière générale, je savais qu’il y aurait une amende pour la mise en œuvre. Les théologiens m’ont prévenue, ils ont dit qu’il était impossible de vendre ces livres et qu’il était souhaitable de demander la permission. Mais je ne pensais pas qu’un dossier administratif serait ouvert et que cela serait pris au sérieux, puisque je vends des livres à côté de vêtements et d’accessoires musulmans. Et puis il y a eu un procès et une amende de 153 000 tengués a été infligée », explique Zarina.

Des marchands pas toujours avertis 

Un incident similaire s’est produit à Oust-Kamenogorsk, où une marchande de kiosque a été condamnée pour avoir distribué de la littérature religieuse. Bien que dans ce cas, la femme ne savait pas qu’elle pouvait être punie.

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Les autorités restent sûres que ces punitions auraient pu être évitées si les habitants avaient obtenu une autorisation spéciale de la part des autorités. 

« Il est désormais simple d’obtenir l’autorisation de distribuer de la littérature religieuse auprès du département du développement social ou via egov.kz. Dans tous les cas, c’est un processus gratuit », explique Nazerke Kopenova, responsable du secteur de l’interaction avec les associations religieuses du département de politique intérieure d’Oust-Kamenogorsk.

Le Comité des affaires religieuses du ministère de l’Information du Kazakhstan a également indiqué qu’il s’efforçait d’empêcher la distribution illégale de littérature religieuse. « [Pour cela] des tables rondes, des réunions, des émissions en direct, des conférences, des interviews, des briefings et d’autres événements sont organisés en continu avec la participation de groupes de sensibilisation. Afin d’informer la population partout dans le pays, des documents pertinents sont publiés dans les médias et sur Internet, des panneaux d’information sont installés dans les endroits très fréquentés, des brochures, des livrets et des magazines sont distribués », détaille le Comité.

Stigmatisation ou protection ? 

La situation actuelle d’interdiction de la distribution gratuite de contenu religieux, mais pas extrémiste, reflète l’essence du régime autoritaire qui persiste au Kazakhstan. Selon Evgueniy Jovtis, directeur du Bureau international des droits de l’Homme et de l’état de droit du Kazakhstan, ce type de régime tente traditionnellement de contrôler l’ensemble de l’espace public. « La grande majorité de la littérature religieuse n’a aucun contenu illégal, mais, du simple fait qu’elle est religieuse, ses propriétaires et les croyants en général sont stigmatisés par l’Etat », explique-t-il. Il note que la loi sur les activités religieuses et les associations religieuses, adoptée en 2011, et les actes juridiques connexes, dont l’article 490 du Code des infractions administratives, sont répressifs et constituent une censure, ce qui est expressément interdit par la Constitution de la République du Kazakhstan.

« Par conséquent, souligne Evgueniy Jovtis, l’attitude envers la littérature religieuse dans notre pays est discriminatoire. Pourquoi, alors, personne ne vérifie-t-il la fiction, d’autres documents non religieux, qui peuvent également avoir du contenu interdit ou être provocateurs, avant publication ? » Les autorités qualifient ces mesures de lutte contre l’extrémisme religieux et le terrorisme. Elles expliquent la nécessité de leurs activités par le niveau croissant de religiosité de la population du Kazakhstan, le travail actif de prédicateurs et d’organisations douteuses, y compris celles interdites, ainsi que par l’intérêt accru de la population, en particulier des jeunes, pour Internet et les réseaux sociaux.

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« Souvent, les personnes ayant un faible niveau d’alphabétisation religieuse et juridique tirent des informations de ressources Internet, y compris de canaux douteux », estime le Comité des affaires religieuses du ministère de l’Information de la République du Kazakhstan.

Hors focale

Cependant, les efforts en cours – informer et punir – n’apportent pas les résultats dont les autorités ont besoin. Les sites d’annonces et les librairies vont continuer de vendre de la littérature religieuse. « De temps en temps, des gens sont surpris en train de distribuer de la littérature religieuse, mais ici, à mon avis, ils agissent de manière sélective. Il est possible que quelqu’un se livre à des pratiques d’extorsion lors de la surveillance d’objets et de sites de vente de littérature religieuse sans être jamais inquiété par les autorités », suggère Evgueniy Jovtis.

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Le militant des droits de l’Homme souligne que les actes juridiques normatifs mentionnés ci-dessus ne répondent pas à leurs tâches principales. Par exemple, avec l’avènement de la loi sur les activités religieuses et les associations religieuses, la vie n’est pas devenue plus facile pour les associations et communautés religieuses respectueuses des lois, ni plus difficile pour les terroristes et les extrémistes qui appellent à la violence. De plus, l’expertise religieuse ne peut pas être qualifiée d’outil principal dans la lutte contre les discours haineux.

« Nous devons lutter contre les menaces réelles et ne pas prononcer de sanctions pénales ou administratives contre les personnes qui n’appellent pas à la violence, n’expriment pas leurs opinions, leurs convictions religieuses et exercent leur droit à la liberté de conscience », résume Evgueniy Jovtis.

Daniyar Sadvakassov
Journaliste pour Cabar

Relu par Emma Jerome

Traduit du russe par Hannes Khetib

Edité par Lucas Morvan 

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