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La région du lac Balkhach se prépare à accueillir ses premiers tigres

Disparu au tournant du XXIème siècle, le tigre de la Caspienne pourrait revenir au Kazakhstan, dans la réserve naturelle d’Ile-Balkhach. Un projet de longue haleine, qui commence par l’introduction de cerfs de Boukhara, eux-mêmes en voie de disparition.

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Le tigre de la Caspienne, disparu en 2003, tente d'être réintroduit au Kazakhstan (illustration).

Disparu au tournant du XXIème siècle, le tigre de la Caspienne pourrait revenir au Kazakhstan, dans la réserve naturelle d’Ile-Balkhach. Un projet de longue haleine, qui commence par l’introduction de cerfs de Boukhara, eux-mêmes en voie de disparition.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 24 novembre 2020 par le média kazakh Informburo.

Barkhanes de sable, forêts de saxaouls et steppes salines à perte de vue, tempêtes de neige d’une rare violence durant l’hiver : voilà ce qui définit le sud du lac Balkhach. Durant l’été 2018, la réserve naturelle d’Ile-Balkhach a vu le jour dans cette région kazakhe du sud du pays grâce à un décret gouvernemental.

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D’une superficie totale de plus de 415 000 hectares, cet espace naturel protégé travaille sur un projet plus qu’ambitieux : faire revenir le tigre de la Capsienne, une espèce éteinte depuis 2003, au Kazakhstan.

En premier lieu, et depuis septembre 2019, ce sont les cerfs de Boukhara qui sont réintroduits. Cet animal, aussi appelé cerfs de Bactriane, figure sur la liste rouge des espèces menacées d’extinction de l’Union internationale de la conservation de la nature (UICN). À terme, ce cerf devrait constituer la base de l’alimentation du tigre de la Caspienne, dont la population devrait être reconstituée d’ici 2025.

Le cerf de Boukhara (Cervus elaphus bactrianus), sous-espèce du cerf élaphe, est la seule qui puisse s’acclimater aux zones sèches des tougaï. Dans la première moitié du XXème siècle, cette espèce animale a disparu de la région d’Ile-Balkhach et du Kazakhstan dans son ensemble, où elle a été exterminée de manière systématique par l’Homme.

Faire renaître un écosystème

Reconstituer l’écosystème local tel qu’il existait il y a des centaines d’années est aujourd’hui l’objectif principal des professionnels travaillant au sein de la réserve. Sans doute le félin chassera-il également les sangliers, chevreuils et autres petits mammifères présents sur le territoire.

Lire aussi sur Novastan : Kazakhstan : des cerfs de Boukhara réintroduits près du lac Balkhach

La réserve naturelle est située dans la région d’Almaty et s’étend sur deux zones : la région du Pribalkhach autour du lac Balkhach (356 296 hectares), et le delta de l’lli (58 868 hectares).

La zone sur laquelle a été créée la réserve est un site naturel d’exception – actuellement, le delta de l’Ili est le seul qui subsiste en Asie centrale. Les deltas du Syr-Daria, de l’Amou-Daria, du Tchouï ainsi que ceux d’autres rivières ont quasiment disparu du fait de la désertification.

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Actuellement, 25 gardes travaillent au sein de la réserve.

Vingt-cinq gardes veillent sur les sept zones reculées, qui constituent la réserve naturelle. « L’agglomération » la plus proche est le village de Karoï, située à 80 kilomètres de la première zone. Parmi les vertébrés recensés, qui composent la faune de cette réserve, on compte 3 espèces d’amphibiens, 19 espèces de reptiles, 298 espèces d’oiseaux et 39 espèces de mammifères.

La réintroduction des cerfs de Boukhara dans la réserve naturelle

Avant que les tigres n’arrivent, il est prévu de faire venir 50 cerfs de Boukhara sur le territoire de la réserve d’Ile-Balkhach. Les expériences précédentes impliquant ce cervidé ont été couronnées de succès.

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« Le dernier cerf de Boukhara a disparu de la région il y a 100 à 120 ans. Pourtant ce territoire est sa terre natale. En 2018, nous avons fait venir 5 cerfs. Dans l’ensemble, on peut dire qu’ils se sont bien acclimatés et que le projet a rencontré un franc succès. L’année dernière nous avons fait venir 14 cerfs de plus. Et cette année nous prévoyons d’accueillir 50 cervidés », raconte le directeur de la réserve naturelle, Janibek Djoubaniazov.

Les premiers individus ont été prélevés dans le parc naturel régional du Syr-Daria au Turkestan, dans le sud du Kazakhstan; puis un autre troupeau de 14 cerfs de la réserve de chasse de Karatchinguilskoïe, situé à Kouch, un village proche d’Almaty, a été également amené sur place.

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Des cerfs de Boukhara dans l’enclos d’adaptation au sein de la réserve naturelle d’Ile-Balkhach.

Dans un premier temps, les cerfs sont gardés dans un enclos d’adaptation, puis ils sont remis en liberté. Chaque cerf est équipé d’un collier GPS. D’après les données récupérées grâce à l’émetteur, les premiers cerfs libérés se déplaçaient d’abord autour de l’enclos. Certains ont ensuite été retrouvés à plus d’une centaine de kilomètres de ce même lieu. Certaines femelles ont mis bas : deux faons ont déjà vu le jour. Au cours des quatre années à venir, 200 cerfs de Boukhara seront réintroduits au sein de la réserve naturelle d’Ile-Balkhach.

Selon les scientifiques, la dégradation de l’habitat du cervidé est liée, avant tout, à l’activité économique humaine : opérations de brûlage des ripisylves et des massifs de roseaux, défrichage des plaines inondables aux abords des cours d’eaux, fenaison, régulation du débit des rivières ou encore pâturage intensif du bétail.

Prélevés en Russie, des tigres seront réintroduits au Kazakhstan

Si le cerf de Boukhara survit dans la réserve naturelle, les premiers tigres de l’Amour seront introduits d’ici à 2025, dans le but de recréer la sous-espèce du tigre de la Caspienne. Ils seront ensuite rejoints par ne vingtaine de tigres provenant de l’Extrême-Orient russe. Les recherches dans le domaine de la cytogénétique ont montré qu’il existe de grandes similitudes entre le tigre de la Caspienne et le tigre de l’Amour.

Il est prévu de faire venir les tigres de l’Amour depuis la région du kraï du Primoriė, située en Fédération de Russie; ce tigre, qui vit dans cette partie de la Sibérie, ne craint pas le froid. Différents scénarios ont été envisagés : la réserve accueillera soit de jeunes tigres orphelins, soit des spécimens adultes vivant déjà à l’état sauvage. Le Fonds mondial pour la nature (WWF) est à l’initiative du projet.

La décision finale sera prise lors d’une phase plus avancée de la réintroduction. Elle sera basée sur différentes expériences de remise en liberté : celle des tigreaux nés en captivité et celle des tigres orphelins ayant séjourné dans un centre de réhabilitation. Des expériences similaires sont actuellement menées dans la partie méridionale de l’Extrême-Orient russe. D’autres sont en cours de préparation dans le sud de la Chine.

Si les remises en liberté se déroulent bien, des tigres vivant en captivité seront également réintroduits : une période de préparation sera toutefois nécessaire. Si ces expériences échouent, deux ou trois félins seront possiblement prélevés dans leur milieu naturel, en Extrême-Orient russe, sans que cela n’ait un impact négatif sur leur population. Chaque année, une centaine de tigreaux naissent dans cette région.

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Dans certaines zones du Balkhach, les forêts de saxaouls sont si denses qu’elles rappellent la jungle. L’environnement crée des conditions de vie idéales pour ce gros chat qu’est le tigre de la Caspienne, lui permettant de se poster en embuscade lors de ses parties de chasse.

La question est de savoir à quel rythme l’animal s’adaptera aux conditions climatiques locales. En effet, ce tigre n’a connu que le climat humide et caractéristique de la taïga de l’Oussouri

« Au début, on mettra les tigres dans un enclos qui aura été spécialement construit pour les accueillir. On les y gardera un moment. Lorsque nous constaterons qu’ils se sont bien adaptés, nous les relâcherons dans la nature », explique Janibek Djoubaniazov.

Exterminé de manière systématique par l’Homme

Au début du XXème siècle, on dénombrait environ 100 000 tigres à travers le monde : il existait alors 9 sous-espèces différentes. À l’aube du troisième millénaire, il ne restait plus que 3 500 individus, et 4 sous-espèces avaient déjà disparu. Deux d’entre elles – le tigre de Java et le tigre de Bali– peuplaient les îles d’Indonésie. Le tigre de Chine méridionale est également considéré comme une espèce éteinte; il est toutefois possible que certains individus aient survécu de manière isolée.

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Le tigre de l’Amour a été choisi pour sa proximité avec le tigre de la Caspienne.

Le tigre de la Caspienne (Panthera tigris virgata Illiger), aussi appelé « tigre de Touran »,  est la quatrième sous-espèce à avoir disparu. Autrefois, ce fauve peuplait plus d’une dizaine de pays du Proche-Orient, de la Transcaucasie et de l’Asie centrale, de la Turquie au nord-ouest de la Chine. Au début du ХХIème siècle, 13 pays différents composaient l’aire de répartition des tigres, toutes espèces confondues : celle-ci a diminué de moitié lorsque le tigre de la Caspienne a disparu.

Dans le détail, il y avait beaucoup plus de tigres de la Caspienne au début du XXème siècle que pour toutes les espèces de tigres confondues aujourd’hui. Cette sous-espèce était attachée aux vallées fluviales et aux rives des lacs, entre lesquelles se trouvaient de vastes étendues de steppes et de déserts inhabités. Exterminé de manière systématique par l’Homme, notamment par l’armée, le tigre de Touran a fini par disparaître. Sont également responsables de sa disparition la chasse intensive aux ongulés qui constituaient la base de son alimentation, et, plus tard, la destruction de son habitat, due aux divers projets d’irrigation.

Une question essentielle demeure: le tigre de l’Amour parviendra-t-il à s’adapter au climat aride de la steppe ?

Parmi les pays composant son ancienne aire de répartition, deux zones qui pourraient accueillir le tigre de la Caspienne ont été identifiées: l’une d’elle est la région de la mer d’Aral en Ouzbékistan, avec des cerfs de Boukhara qui s’y développent dans certaines zones asséchées, l’autre est la région du Pribalkhach en Sibérie.

Si les fauves parviennent à s’acclimater au bout de quelques années, le projet de réintroduction du tigre de la Caspienne sera poursuivi. Selon les prévisions des zoologues, de 150 à 180 tigres devraient déjà peupler le territoire du Kazakhstan d’ici 50 ans.

Grigori Bendeko
Journaliste pour Informburo

Traduit du russe par Charlotte Boucault

Edité par Christine Wystup

Relu par Jacqueline Ripart

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