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Changement climatique : l’incertitude croissante autour de l’eau en Asie centrale

L'Asie centrale est particulièrement touchée par le changement climatique et les ressources en eau se font plus rares. Ce manque se répercute non seulement sur la production agricole, mais aussi sur la bonne entente entre les pays et également sur la stabilité énergétique et économique.

Eau Kirghizstan Naryn
L'eau vient à manquer en Asie centrale (illustration).

L’Asie centrale est particulièrement touchée par le changement climatique et les ressources en eau se font plus rares. Ce manque se répercute non seulement sur la production agricole, mais aussi sur la bonne entente entre les pays et également sur la stabilité énergétique et économique.

L’Asie centrale fait déjà face à de sérieux défis dans la lutte contre le changement climatique. La région est caractérisée par un climat sec, une fluctuation fréquente des conditions météorologiques, un faible niveau de précipitations et une répartition inégale des ressources. Elle est donc particulièrement exposée aux conséquences du réchauffement planétaire.

Mais la vulnérabilité des pays d’Asie centrale ne s’explique pas seulement par leur géographie et leur climat. Les problèmes économiques déjà présents, la croissance démographique, l’instabilité politique, le vieillissement des infrastructures, la dégradation avancée des terres agricoles et des écosystèmes sont quelques-uns des facteurs qui sapent la capacité des pays de la région à s’adapter aux dérèglements climatiques.

Les ressources hydriques sont cruciales pour divers aspects de la sécurité nationale et régionale. Une infime perturbation de l’accès à l’eau entraîne une réaction en chaîne affectant le développement de chacun des pays de la région. De la disponibilité en eau dépendent notamment les cultures irriguées, qui contribuent fortement aux produits intérieurs bruts (PIB) nationaux, mais aussi la production hydroélectrique. Et le changement climatique représente une nouvelle incertitude à gérer.

La pénurie d’eau, qui se superpose à une mauvaise gestion de la ressource, vulnérabilise la région et l’expose à de nouvelles crises liées aux conséquences du réchauffement climatique. Les actions actuelles auront donc une importance capitale pour un futur soutenable.

Fonte des glaciers et fluctuations des précipitations

L’une des conséquences les plus importantes du réchauffement climatique en Asie centrale est la fonte des glaciers et la réduction du manteau neigeux dans les massifs du Tian-Shan et du Pamir-Alaï. L’augmentation des températures et l’irrégularité des précipitations conduisent déjà à une réduction de la surface et du volume des glaciers. Au rythme actuel, les glaciers perdent entre 0,2 et 1 % de leur masse par an. De nombreux glaciers de taille modeste ont déjà disparu.

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Les précipitations sont de plus en plus irrégulières, tout comme l’enneigement. Les spécialistes s’attendent à observer des anomalies dans leur intensité et leur répartition géographique. Le Sud-Ouest de l’Asie centrale va s’assécher tandis que le climat au Nord-Est va devenir plus humide.

Il est possible que des périodes prolongées de sécheresse alternent avec des journées de précipitations abondantes. Avec l’augmentation des températures et la fonte des glaciers, l’irrégularité plus marquée des précipitations va affecter le débit des cours d’eaux, à l’instar des rivières transnationales que sont l’Amou-Daria et le Syr-Daria.

Accès à l’eau

D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les réserves d’eau per capita sont suffisantes en Asie centrale, de l’ordre de 2 000 mètres cubes. Le problème ne réside pas tant dans le manque d’eau que dans sa très mauvaise gestion. Ces réserves d’eau sont réparties de manière inégale.

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Dans les pays situés sur le cours inférieur des fleuves, l’accès à des réserves d’eau locales et renouvelables est limité. Et le changement climatique ne sera pas le seul facteur de tensions, il faudra aussi compter sur une croissance de la population, un accroissement de la demande industrielle et une augmentation de la pression agricole.

Le creusement du déficit en eau et la dégradation de sa qualité vont se répercuter sur l’accès à l’eau de la population, surtout en ce qui concerne l’eau potable. Au Tadjikistan, plus des deux tiers de la population vivent dans des localités rurales où l’approvisionnement en eau a toujours été un sérieux problème. D’après la Banque mondiale, dans certaines régions rurales du Kirghizstan, les habitants prélèvent l’eau directement dans le réseau d’irrigation. En Ouzbékistan, plus de la moitié de la population n’est pas connectée aux réseaux de distribution d’eau.

Menaces sur l’agriculture

L’agriculture est l’un des secteurs de base de l’économie centrasiatique. La part respective de l’agriculture dans le PIB des différents pays s’étend de 10 à 45 %.  Celle-ci mobilise entre 20 et 50 % de la population active. La FAO rappelle notamment que la région est caractérisée par des sécheresses régulières. Plus de la moitié des terres relèvent de l’aridoculture et presque toute la surface irriguée est en situation de stress hydrique élevé voire très élevé. Les vagues de chaleur et l’irrégularité des précipitations peuvent diminuer le rendement des céréales, tout comme celui des autres cultures, et contribuer à la prolifération de nuisibles et de maladies.

Le réchauffement climatique et ses conséquences néfastes, le pâturage non régulé du bétail, l’abattage des massifs forestiers et les pratiques agricoles inadéquates accélèrent le processus d’érosion et de dégradation des sols. Une météo en moyenne plus chaude associée à des pics de chaleur plus nombreux conduira à la désertification de nouvelles zones, à une baisse de productivité des pâturages et à une diminution des réserves alimentaires.

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Tous ces phénomènes vont influer sur la sécurité alimentaire des populations. A plus ou moins long terme, les conséquences négatives du changement climatique vont sensiblement contrebalancer les effets positifs qui pourraient s’observer dans certaines régions.

Catastrophes naturelles

Les catastrophes liées à l’eau ont été identifiées parmi les menaces clés pesant sur la zone. La majeure partie des événements extrêmes observés, comme les épisodes de forte grêle, les coulées de boue, les sécheresses, les pics de chaleur ou les vagues de froid sont provoqués par des conditions météo elles-mêmes extrêmes.

Des millions de personnes en ont souffert ces 30 dernières années, tandis que les dommages économiques se chiffrent en milliards de dollars. Les météorologues rappellent que, durant la dernière décennie, la fréquence et l’intensité de tels événements ont augmenté dans la région.

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Les catastrophes naturelles endommagent l’infrastructure énergétique et les réseaux de transport, tout en nuisant à l’agriculture. En 2021, la sécheresse a conduit à la mort de plusieurs milliers de bêtes dans certaines régions du Kazakhstan, alors que la pénurie d’eau pour l’irrigation entraînait des manifestations dans la province de Tchouï au Kirghizstan. A l’automne 2022, les fortes averses au Tadjikistan et au Kirghizstan ont provoqué des coulées de boue. D’après les météorologues, un risque de superposition des catastrophes existe, décuplant leur impact.

Problèmes énergétiques

L’hydroélectricité occupe une place centrale dans les économies tadjike et kirghize, où elle constitue la principale source d’énergie. Celle-ci dépend directement du cycle de l’eau qui, comme le montrent les modèles climatiques, va évoluer sur le long terme. Le rendement et la puissance des installations hydroélectriques vont ainsi diminuer. La réduction de l’étiage saisonnier voire l’assèchement de certains petits cours d’eau pourront conduire à la mise à l’arrêt de certaines installations.

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Ce sont les coulées de boue et l’accumulation de sédiments qui représentent le principal risque pour les barrages hydroélectriques. L’excès de sédiments dans les réservoirs peut diminuer la production électrique et compliquer le pilotage des installations. En tout, d’après la Banque mondiale, le réchauffement climatique pourrait conduire à une réduction de 20 % de la production hydroélectrique au Kirghizstan et au Tadjikistan.

En outre, le manque d’eau ou l’élévation de sa température peuvent aussi entraver le bon fonctionnement des centrales thermiques dans les autres pays de la région.

Migrations et tensions sociales

Étant donnée la part de la population paysanne à bas revenu au Tadjikistan, au Kirghizstan et en Ouzbékistan, les conditions météo défavorables et les événements climatiques extrêmes risquent de provoquer une augmentation de la pauvreté, une diminution considérable des revenus de nombreuses familles ainsi qu’une dégradation de leur sécurité économique et alimentaire.

Les catastrophes naturelles dans la région sont à l’origine de déplacements de populations, à court terme. Du fait de l’augmentation de leur nombre et de leur intensité, ces catastrophes menacent de plus en plus d’individus. La dégradation des écosystèmes et des conditions de vie vont accentuer les migrations saisonnières ou de longue durée. Dans ces pays, où la population rurale est proportionnellement très représentée, l’exode rural va s’intensifier.

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D’après les données de la Banque mondiale, à l’horizon 2050, l’Asie centrale pourrait compter jusqu’à 2,4 millions de réfugiés climatiques au sein de ses frontières. Il faut s’attendre à ce que des poches de déplacés apparaissent le long de la frontière sud du Kazakhstan, dans la vallée de Ferghana et près de Bichkek. Certaines régions dans l’Est du Turkménistan et dans le Sud de l’Ouzbékistan, le long de l’Amou-Daria, où une diminution de l’accès à l’eau et des récoltes est à craindre, sont également concernées.

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L’accès limité à l’eau et sa mauvaise gestion peuvent devenir une source de potentiels conflits en Asie centrale.  La politique de gestion de l’irrigation et de l’énergie a déjà causé des dissensions entre les pays. La construction d’un barrage hydroélectrique en amont a ainsi suscité le mécontentement des pays situés en aval des fleuves transfrontaliers et a servi de prétexte à des polémiques et à des altercations sur le plan diplomatique.

Répercussions sur les écosystèmes

Le changement dans l’accès aux ressources en eau et l’augmentation des températures devraient modifier la composition de la flore et de la faune des différents écosystèmes. Dans les milieux montagneux, une migration verticale de la végétation a déjà été observée.

Certaines espèces végétales et animales risquent de disparaître, tandis que l’habitat d’autres espèces est exposé à des changements substantiels. Le changement climatique risque de favoriser la prolifération de nuisibles ou d’espèces invasives. Enfin, la persistance de conditions sèches et de fortes chaleurs augmente le risque de feux de forêt.

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La surcharge d’origine anthropique conjuguée au changement climatique pourrait compromettre la pérennité des écosystèmes, contribuer à la réduction de la diversité biologique et affecter les services rendus par l’écosystème à la population, desquels dépend leur capacité de survie. Pour cette raison, la protection et le rétablissement des écosystèmes naturels doit figurer au premier rang des priorités des autorités.

Coopération régionale

En Asie centrale, le principe de coopération fait plutôt consensus. Dans la région opèrent notamment le Fonds international de sauvetage d’Aral, la Commission intergouvernementale de coordination de la gestion de l’eau et la Commission intergouvernementale pour le développement durable. Un attirail d’accords consacrés à la gestion des ressources hydriques existe. Cependant, la question de leur application et de leur efficacité reste l’objet de disputes régulières. La gestion des ressources en Asie centrale s’avère être une problématique complexe et beaucoup des problèmes qui existaient il y a 20 ans persistent encore aujourd’hui.

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En 2017, la Direction du développement et de la coopération suisse a rendu un rapport portant sur la coopération autour de la question de l’eau en Asie centrale. Selon celui-ci, « la politique de l’eau dans la région est essentiellement la somme de stratégies nationales non coordonnées. La conjonction d’une faible efficacité de la politique de l’eau, de facteurs exogènes négatifs, provoqués par des décisions unilatérales, et de priorités nationales concurrentes ont généré des désaccords et contribué à la discorde politique et diplomatique entre les différents pays. »

Ce même rapport montre que, selon des approximations, le coût de l’inaction dans la gestion de l’eau s’élève à 4,5 milliards de dollars (4,26 milliards d’euros) par an en Asie centrale.

Timour Idrisov
Journaliste pour Cabar

Traduit du russe par Arnaud Behr

Edité par Judith Robert

Relu par Eva Costes

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