Après de multiples rebondissements dans cette affaire, Raïymbek Matraïmov a été remis en liberté. Principal accusé dans l’une des plus grosses affaires de corruption au Kirghizstan, il avait entre autres volé des centaines de millions de dollars.
« Cela ne sert plus à rien de le garder en détention, ni pour l’Etat, ni pour lui-même », a affirmé le 14 novembre dernier Kamtchybek Tachiev, chef du Comité d’État pour la sécurité nationale du Kirghizstan (GKNB). Ainsi, l’homme au cœur de l’un des plus grands scandales de l’époque khirgize moderne est libre.
Homme politique, homme d’affaires, et désormais homme libre, Raïymbek Matraïmov était détenu depuis mars dernier. Il est sorti le 11 novembre dernier sous caution.
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Une ascension rapide et des ingérences en politique
Ayant rapidement gravi les échelons au sein du service gouvernemental des douanes, Raïymbek Matraïmov s’est vu assez tôt en devenir le vice-président. Son nom devient associé à la politique en 2017, lors d’une réunion de la faction Respoublika – Ata Jourt au Conseil suprême du pays, lorsqu’il est accusé d’être intervenu dans les élections locales à Kara-Souu.
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Son influence se développe à l’échelle nationale. En 2019, des documents relatifs au fonds électoral du président Sooronbaï Jeenbekov font surface. Raïymbek Matraïmov est alors soupçonné d’avoir financé une partie de la campagne du nouveau président. Le scandale, appelé Tizmegate, a fait l’objet d’une enquête du ministère de l’Intérieur, mais les résultats en sont restés inconnus.
Le plus gros scandale éclate plus tard, lorsque Radio Azattyk et le média kirghiz Kloop mènent une enquête, ayant été approchés par Aïerken Saïmaïti. Blanchisseur d’argent, il affirme avoir retiré plus de 700 millions de dollars (670 millions d’euros) du territoire du Kirghizstan entre 2011 et 2016. Ce témoin décrit un gigantesque réseau bâti sur le clientélisme et la corruption. Parmi les responsables de haut niveau ayant permis de tels détournements, Raïymbek Matraïmov – déjà surnommé Raïym Million – une personne si influente qu’il était alors considéré comme pratiquement intouchable.
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Aïerken Saïmaïti est tué à Istanbul quelques mois après avoir révélé le stratagème. Grâce aux documents qu’il a fourni aux journalistes, d’autres enquêtes sont publiées.
Des débuts de poursuites judiciaires timides
Mais le gouvernement de Sooronbaï Jeenbekov ne résoudra jamais la question. Suite à la troisième révolution kirghize, Sadyr Japarov arrive au pouvoir. Une des promesses qui le hissent à la présidence du pays est de lutter contre la corruption et le crime organisé, et notamment de mettre Raïymbek Matraïmov face à la justice.
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Mais encore une fois, il n’est pas arrêté. En 2020, le Comité d’État pour la sécurité nationale ouvre finalement une procédure contre lui. Il paye une amende de 2 milliards de soms (22 millions d’euros), une somme négligeable face aux quantités d’argent qu’il a fait blanchir pendant des années.
Ce n’est que le 26 mars dernier qu’il est livré à Bichkek, dans un contexte d’épuration du crime organisé au Kirghizstan. Il figurait sur la liste internationale des personnes recherchées et est extradé depuis l’Azerbaïdjan. Raïymbek Matraïmov est inculpé pour franchissement illégal de la frontière, privation illégale de liberté et blanchiment d’argent. Il est placé en centre de détention, tout comme ses frères.
Libre : comment, pourquoi?
Une décision surprenante a toutefois été prise le 11 novembre dernier. Le tribunal l’a libéré avec interdiction de quitter le territoire. C’est une déception pour beaucoup.
Le député Balbak Toulobaïev, du parti Yntymak, a déclaré que la libération soulevait une question dans l’opinion publique : « Est-ce que Raïymbek Matraïmov a contribué au budget de l’État ? Ou est-il simplement retiré de détention ? Est-ce qu’il payera sa dette à l’État ? »
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Kamtchybek Tachiev a répondu que l’ancien douanier avait versé 200 millions de dollars (191 millions d’euros) à l’État. « Ce n’est pas deux millions ou 20 millions. Les députés parmi vous qui connaissent les affaires savent de quel genre d’argent il s’agit. Cela représente 17 milliards de soms. Avant cela, [Raïymbek] Matraïmov avait déjà versé 2,5 milliards de soms au budget. Au total, il a payé 19,5 milliards de soms (215 millions d’euros, ndlr)« , a justifié le chef du GKNB.
« Bien sûr, il ne s’agit pas que d’argent, mais aussi de biens. Nous avons fait expertiser ses biens à leur valeur minimale. Il y aura bientôt un procès à la suite duquel soit il sera puni pour les accusations portées contre lui, soit il paiera une amende », conclut-il.
La liberté est-elle à vendre ?
Pourtant, cette libération coïncide avec la publication, quelques jours plus tôt, d’une vidéo du militant Melis Aspekov. Celui-ci affirme que Raïymbek Matraïmov aurait soutenu financièrement Sadyr Japarov au lendemain de la révolution de 2020, sans toutefois présenter de preuves pour appuyer ses propos.
Kamtchybek Tachiev a ajouté que, sur instruction du président, il fournira prochainement des informations détaillées sur les biens et les fonds restitués à l’État cette année.
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200 millions de dollars, cela est-il le prix de la liberté ? C’est une question que la population pourrait se poser après les déclarations de Kamtchybek Tachiev. Raïymbek Matraïmov, malgré ses fraudes multiples et ses activités criminelles, a été condamné seulement deux fois par la loi. Dans les deux cas, il a versé des montants importants, ce qui a abouti à l’abandon des accusations portées contre lui.
Samad Alizade
Rédacteur pour Novastan
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