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Commerce : la Russie envoie le Kazakhstan sur les roses après son refus de rejoindre les BRICS

Les relations commerciales entre le Kazakhstan et la Russie sont de plus en plus tendues, notamment après le refus d’Astana de rejoindre les BRICS lors de leur dernier rassemblement. Entre interdictions de produits agricoles et restrictions de transit, Moscou entend rappeler à son voisin les risques d’une trop grande proximité avec l’Occident.

Rédigé par :

mmadec 

Grain
La Russie et le Kazakhstan se livrent à une guerre commerciale autour des produits agricoles (illustration). Photo : Pexels.

Les relations commerciales entre le Kazakhstan et la Russie sont de plus en plus tendues, notamment après le refus d’Astana de rejoindre les BRICS lors de leur dernier rassemblement. Entre interdictions de produits agricoles et restrictions de transit, Moscou entend rappeler à son voisin les risques d’une trop grande proximité avec l’Occident.

La guerre commerciale est-elle déclarée entre Astana et Moscou ? Les tensions entre les deux voisins ont culminé lors du dernier sommet des BRICS, tenu à Kazan du 22 au 24 octobre dernier, rapporte The Astana Times. Le Kazakhstan y a participé en tant qu’invité, se contentant d’un rôle d’observateur pour ce 16ème sommet annuel. Au grand dam de Vladimir Poutine, qui espérait que son proche voisin dépose enfin une candidature.

Dans une interview accordée au média kazakh Tengrinews le 16 octobre dernier, le porte-parole du gouvernement, Berik Ouali, avait pourtant été clair : « À l’heure actuelle, le Kazakhstan s’abstiendra de soumettre une candidature aux BRICS ». La cause de ce refus : une procédure d’adhésion longue et complexe, « ainsi que d’autres questions liées aux perspectives de développement de cette association. »

Au groupe mené par la Russie, l’Inde, le Brésil et la Chine depuis sa création en 2009, le Kazakhstan préfère l’Organisation des Nations unies (ONU), seule « organisation universelle et incontestée au sein de laquelle tous les problèmes internationaux actuels peuvent et doivent être discutés », martelait Berik Ouali.

Des représailles face au refus

Double trahison pour la Russie, qui espérait élargir les BRICS pour pouvoir renverser ce que son chef d’État considère comme « l’ordre unipolaire » établi par les États-Unis, estime IntelliNews. Actuellement composés de neuf États, l’alliance des économies émergentes aurait en effet bien besoin de nouvelles recrues.

Or, en refusant les avances de son allié de longue date, avec lequel il collabore déjà au sein de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) et l’Union économique eurasiatique (UEE), le Kazakhstan signale qu’il existe des alternatives à l’ex-puissance soviétique pour les pays désireux de renforcer leur présence sur la scène internationale.

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Au lendemain des déclarations de Berik Ouali, Rosselkhoznadzor, le service de surveillance agricole russe, interdisait pour une durée indéterminée les importations de certains produits agricoles en provenance du Kazakhstan, rapporte The Moscow Times. La raison officielle : 215 cas de violations des réglementations phytosanitaires depuis le début de 2024.

Pourtant, pour Kouat Doumbaï, directeur du Centre d’études sur l’Asie centrale, il ne fait aucun doute que ces restrictions « reflètent indéniablement une pression croissante sur le Kazakhstan », comme il le confie à Euronews.

Protectionnisme ou guerre commerciale ?

Il faut dire que la Russie n’en est pas à son coup d’essai. L’analyste politique Henrik Werenskiold souligne dans une tribune pour le média britannique Emerging Europe que le pays a régulièrement recours à des restrictions sur les importations de produits alimentaires dans le cadre de différends diplomatiques.

En février dernier, l’agence sanitaire russe a notamment restreint les importations de bananes d’Équateur juste après que ce dernier a annoncé vouloir fournir des armes aux États-Unis pour soutenir l’Ukraine, rapporte le média américain Radio Free Europe.

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En septembre dernier, Moscou avait déjà interdit les importations de céréales et de farine en provenance du Kazakhstan, en réponse à la décision de ce dernier de stopper temporairement ses importations de céréales russes. Le Kazakhstan avait pris cette mesure en août dernier pour protéger ses producteurs, explique le média ouzbek Daryo. Les céréales russes étant vendues moins cher, les producteurs kazakhs risquaient de ne pas pouvoir écouler leur récolte.

« La Russie a perçu notre interdiction d’importation de blé en août comme un geste inamical », avait alors confié Evguény Karabanov, représentant de l’Union des céréales du Kazakhstan, au média kazakh Caravan.

La Russie ferme des débouchés pour les producteurs kazakhs…

En ciblant les céréales, graines de lin, lentilles, tomates, melons et autres produits frais, Vladimir Poutine administre une piqûre de rappel à son voisin, dont certains produits sont exclusivement expédiés vers la Russie. C’est le cas des tomates, des melons et des fleurs coupées, produit ajouté à la blacklist de Rosselkhoznadzor le 21 octobre dernier.

Graphique expostations agricoles Kazakhstan

Pour les exportateurs de ces produits, se mettre à dos la Russie signifie perdre un débouché vital, de quoi mettre à rude épreuve le secteur agricole et l’économie dans son ensemble, s’alarme le député kazakh Aïdarbek Kojanazarov dans Tengrinews.

… Et les contraint à en trouver de nouvelles

Pour les producteurs de lentilles, de graines de lin ou de blé, dont la destination finale n’est pas la Russie, l’impact économique est indirect.

Ces produits transitent par le territoire russe pour atteindre les ports de la mer Noire, avant d’être expédiés par voie maritime vers l’Europe et le Moyen-Orient. En interdisant leur passage, même pour un transit, Moscou cherche à perturber les chaînes d’approvisionnement et à augmenter les coûts logistiques supportés par les exportateurs.

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Une stratégie qui porte ses fruits : « Les exportateurs kazakhs subissent des pertes financières importantes, des wagons sont immobilisés et les délais de livraison ne sont pas respectés », s’inquiète Aïdarbek Kojanazarov.

Se rabattre sur les ports des pays baltes

Le blé, produit stratégique pour le Kazakhstan, est particulièrement dépendant des ports russes pour être exporté. La Russie n’est donc pas allée jusqu’à interdire son transit, comme l’explique le média kazakh Kapital, mais l’a grandement complexifié. Elle exige la remise de certificats phytosanitaires par les exportateurs ainsi que le transbordement direct de la cargaison des wagons aux cales des navires.

À cause de ces mesures, « le Kazakhstan ne pourra pas vendre plus d’un million de tonnes de céréales via les ports russes ; nous serons bloqués avec notre grain », prévient Evguény Karabanov.

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Pour limiter les pertes, une seule solution : expédier via les ports des États baltes. Une alternative coûteuse, puisqu’elle ajoute 30 dollars (27 euros) par tonne de produit transporté, selon les propos d’Evguény Karabanov, cité par APK-Inform, une agence d’information ukrainienne spécialisée dans le secteur agricole.

Or, « quelqu’un devra payer pour cela : soit les acheteurs, soit les exportateurs, plus précisément les agriculteurs kazakhs. Selon la conjoncture, l’un ou l’autre paiera », précise l’expert. En clair, si les producteurs kazakhs n’endossent pas la hausse de coût générée par les restrictions, ce sera aux acheteurs européens de régler la facture.

La Russie fait d’une pierre deux coups

Cette interdiction sert bien les intérêts de Moscou, qui souhaite que ses mesures impactent indirectement les marchés européens. Entre juillet et novembre 2023, le Kazakhstan a multiplié par dix ses exportations de blé dur vers l’Union européenne, devenant ainsi son quatrième fournisseur. Une baisse des exportations kazakhes pourrait donc faire grimper le prix du blé en Europe, affectant les industries de la semoule et des pâtes alimentaires.

De même, en interdisant les importations de fleurs coupées, la Russie cible indirectement les producteurs des Pays-Bas, de la Belgique et de la Pologne, grands fournisseurs du Kazakhstan, qui réexporte ensuite ces produits vers le marché russe.

Comme le remarque le Moscow Times, cette stratégie n’est pas sans rappeler l’embargo de 2014, lorsque la Russie avait riposté face aux sanctions occidentales en bloquant plusieurs produits alimentaires en provenance de l’UE, des États-Unis, du Canada, de l’Australie et de la Norvège, incluant viandes, poissons, produits laitiers, fruits et légumes.

exportateurs fleurs Kazakhstan

Rosselkhoznadzor a d’ailleurs clairement désigné les fournisseurs européens comme cibles de cette mesure. Dans son communiqué, l’agence russe souligne que « le Kazakhstan réexporte la plupart des fleurs provenant des Pays-Bas, de la Pologne et de la Belgique » et dénonce un manque de contrôle sur la sécurité de ces produits de la part des agences compétentes des pays d’origine. En agissant ainsi, Moscou envoie un message clair à Astana : se rapprocher de l’Occident n’est pas sans conséquences.

Un « exercice de souveraineté »

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le Kazakhstan s’efforce de respecter les sanctions occidentales contre la Russie, tout en préservant des relations cordiales avec son voisin.

Un jeu d’équilibriste mis à l’épreuve par le sommet des BRICS, que Narguis Kassenova, directrice du programme sur l’Asie centrale à l’Université Harvard, a décrit comme un véritable « exercice de souveraineté » dans une interview auprès du média américain Radio Free Europe.

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Des envies d’indépendance que le Kazakhstan va devoir tempérer, ajoute-t-elle, soulignant que le pays « ne dispose pas encore du poids et de la sécurité de nations telles que le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud ou la Turquie. »

Tenter d’appaiser les tensions

Eldaniz Gousseïnov, spécialiste des études européennes et internationales, rappelle quant à lui la forte dépendance économique du Kazakhstan vis-à-vis de son voisin : « Les deux principaux concurrents en matière d’influence au Kazakhstan sont la Russie et l’UE. […] Mais Bruxelles voit sa domination dans la sphère économique se réduire comme une peau de chagrin, car la coopération entre Astana et Moscou dans ce domaine s’est accrue depuis 2010. »

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Le président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev semble conscient de ces enjeux. Lors de la dernière réunion de la Commission intergouvernementale pour la coopération entre la République du Kazakhstan et la Fédération de Russie, qui s’est tenue à Moscou le 18 octobre dernier, les vice-Premiers ministres des deux pays ont abordé les restrictions commerciales en vigueur de part et d’autre de la frontière.

Pour apaiser les tensions, le Kazakhstan prévoit de lever les restrictions qu’il avait imposées sur la viande de porc, en échange de quoi Rosselkhoznadzor envisagera de lever certaines restrictions sur l’importation de produits agricoles kazakhs.

Manon Madec
Rédactrice pour Novastan

Relu par Elise Medina

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Commentaire (1)

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Vincent Gélinas, 2024-11-7

Qu’est-ce que le gouvernement kazakh souhaitait éviter en refusant d’entrer dans le BRIC, à part de la paperasse?

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