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Déclarations de Kassym-Jomart Tokaïev contre le fanatisme religieux : quel impact pour le Kazakhstan ?

Le président Kassym-Jomart Tokaïev a dénoncé les influences religieuses étrangères des nouveaux convertis, appelant à la protection des traditions kazakhes. Critiquant toute radicalité importée, il ne semble pas avoir fait l’unanimité.

Rédigé par :

La rédaction 

Edité par : Ernest DELMONTEY

Traduit par : Alan Abdullaev

Cabar Asia

Mausolée Turkestan Khoja Ahmed Yasavi
Le discours du président kazakh sur les influences religieuses a fait couler beaucoup d'encre (illustration). Photo : Pitar Milošević / Wikimedia Commons.

Le président Kassym-Jomart Tokaïev a dénoncé les influences religieuses étrangères des nouveaux convertis, appelant à la protection des traditions kazakhes. Critiquant toute radicalité importée, il ne semble pas avoir fait l’unanimité.

« L’aspiration des nouveaux convertis radicalisés d’imposer à la société des idéaux religieux étrangers, tels que des tenues vestimentaires archaïques, est un véritable défi lancé contre nos traditions et nos valeurs. »

Ces paroles ont été prononcées par le président de la République du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, lors du kouroultaï national, qui correspond à une assemblée constituante ou à un congrès. À qui s’adressait-il et qu’est-ce-que cela signifie pour la vie socio-économique du pays ?

Un discours fort contre les influences religieuses étrangères

Le 15 mars dernier s’est tenue la réunion nationale du kouroultaï à Atyraou, dans l’Ouest du Kazakhstan. Lors de cette réunion, le président kazakh a fait plusieurs déclarations idéologiques, notamment en ce qui concerne le domaine de la religion. Il a attiré l’attention sur le fait qu’au Kazakhstan, beaucoup de personnes sont désormais « enveloppées dans des habits noirs. »

« Le port de vêtements noirs contredit la vision du monde de notre peuple. Se vêtir ainsi représente une copie irréfléchie des normes étrangères imposées par le fanatisme religieux. Nous ne devons pas nous détacher de nos racines spirituelles et diluer notre identité nationale », a déclaré Kassym-Jomart Tokaïev.

Le choix stratégique du kouroultaï

Il n’y a rien de surprenant dans le discours du président, considère le spécialiste en religion Aïan Oryntaï. « Le kouroultaï national est une plateforme où l’on discute des questions idéologiques et humanitaires, c’est pour cela que, tôt ou tard, les sujets liés à la religion y seront abordés », explique-t-il.

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L’expert rappelle que cette année, le kouroultaï a eu lieu dans la région d’Atyraou, qui est l’une des régions les plus religieuses du Kazakhstan. De plus, le congrès s’est déroulé au début du ramadan, le mois sacré des musulmans. Ce calendrier expliquerait également le choix de répondre à des questions religieuses.

« L’émergence de nouveaux discours concernant la religion a été grandement favorisée par les problèmes de violence domestique, qu’une partie de la population justifie en invoquant les valeurs religieuses », a déclaré le spécialiste.

À qui était destiné ce message ?

Selon Aïan Oryntaï, le discours de Kassym-Jomart Tokaïev visait principalement les communautés les plus religieuses de la population, y compris les fonctionnaires, dont une partie pourrait promouvoir l’agenda islamique.

Le message du président ne s’adressait pas seulement à la société kazakhe, mais aussi aux pays étrangers. Le sociologue Yeset Yesengaraïev en est convaincu.

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« Actuellement, au Kazakhstan, il existe un changement d’attitude envers la religion. Certains connaissent un regain de sentiment religieux, tandis que d’autres adoptent des attitudes négatives. Cette tendance ne convient ni au pouvoir, ni à la société. Le président a clairement fait connaître la position de notre pays. Ses propos étaient destinés aux pays étrangers, qui doivent comprendre que la lutte contre le fondamentalisme se poursuivra. Il s’agit peut-être là d’un message adressé spécifiquement à la Chine, qui est certainement préoccupée par les aspirations islamiques et son influence grandissante au sein des élites », suggère le sociologue.

Religion : les réseaux sociaux et les études à l’étranger en action

Pour Janar Djandosova, directrice du centre de recherche « SANGE », la raison justifiant le discours du président kazakh réside dans le fait que la religion est devenue un instrument de manipulation, imposée à travers les réseaux sociaux, et que la société laïque est en train de perdre la guerre de l’information face aux blogueurs.

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« En 30 ans d’indépendance, la population a perdu son autonomie dans la prise de décision. Dans les années 1990, nos jeunes hommes sont partis étudier dans les pays arabes. Maintenant nous récoltons les fruits de cette éducation : il existe désormais des groupes composés de chefs religieux qui influencent les esprits faibles, non formés », affirme-t-elle.

À quels changements faut-il s’attendre ?

Yeset Yesengaraïev doute que la position énoncée par les représentants de l’État puisse « calmer les ardeurs de l’extrémisme religieux. »

« Pour ceux qui veulent répandre et renforcer ces idées, tous les avertissements, même les plus sévères, ne fonctionnent pas », ajoute-il pour expliquer ses doutes.

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Aïan Oryntaï ne s’attend pas à ce que le discours entraîne des changements radicaux dans la politique publique et religieuse du Kazakhstan. Mais des mesures seront prises pour renforcer la nature laïque de l’État afin de contrebalancer l’islamisation de la société et tenter de faire barrage à l’influence du monde religieux sur la vie politique du pays.

Toutefois, selon Aïan Oryntaï, la communauté des experts, y compris les universitaires, devraient, de manière responsable, sans suivre aucune conjoncture politique ou autre, en utilisant des méthodes scientifiques, commencer à explorer la question de la signification des termes de la laïcité et du sécularisme.

L’État et la religion : un questionnement nécessaire

« Quels sont les modes de fonctionnement actuels des gouvernements, et comment s’articulent-ils avec la liberté de conscience, d’expression et de religion ? Comment assurer une prise en compte adéquate du contexte local et des normes internationales ? Quels sont les principes fondamentaux des droits de l’Homme qui doivent rester inviolables, en dépit du caractère laïque ou autre de l’État ? Toutes ces questions devraient recevoir des réponses d’experts et proposer des solutions aux législateurs et autres responsables politiques », suggère Aïan Oryntaï.

Janar Djandosova est convaincue qu’au Kazakhstan, il est nécessaire d’exiger la séparation de l’État et de la religion, notamment en matière de non-ingérence de la religion dans la sphère de la santé. Par ailleurs, il convient que les fonctionnaires montrent l’exemple en ce qui concerne le comportement à adopter à l’égard des personnes pratiquantes.

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« Il ne devrait pas y avoir de cas où un directeur d’école arrache un voile de force », ajoute Janar Djandosova.

Impact potentiel sur les projets économiques

Le directeur de la société d’analyse PACE Analytics, Askar Ismaïlov, a exprimé sa préoccupation vis-à-vis du discours du président. Il craint que les déclarations faites lors du kouroultaï national ne portent atteinte aux projets gaziers que l’État souhaite réaliser. Ces projets ont pourtant vocation à participer au développement du Kazakhstan.

« Ce n’est un secret pour personne que les projets gaziers n’intéressent ni les entreprises occidentales qui exploitent les gisements de pétrole et de gaz naturel du pays, ni la Russie qui, depuis l’époque de Yelbasi (le titre spécial porté par l’ancien président kazakh Noursoultan Nazarbaïev, ndlr), empêche la construction d’usines de traitement du gaz au Kazakhstan. Même les investisseurs chinois ne veulent pas investir dans ce projet, à l’exception de l’usine de traitement du gaz de Janajol », rappelle le directeur.

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Le Kazakhstan a pu trouver, au Qatar, des investisseurs intéressés pour réaliser ses projets gaziers.

« Cependant, les propos tenus lors du conseil national concernant le hijab pourraient annuler tout intérêt du Qatar à investir au Kazakhstan », suppose Askar Ismaïlov. Il poursuit : « Pour le Qatar, le hijab n’est pas seulement une obligation religieuse, mais aussi un habit national. Les Qatariens le considèrent avec autant de respect que les Kazakhs avec leur tchapan et leur saoukele. Qualifier le hijab de “modèle comportemental datant du Moyen-Âge” est une insulte à leurs idéaux. Et c’est ainsi que ces mots seront transmis aux dirigeants du Qatar. »

Les relations kazakho-qatariennes suite au discours

Cinq jours après le kouroultaï, le 20 mars dernier, le Premier ministre du Kazakhstan, Oljas Bektenov, s’est rendu en visite officielle au Qatar. Il a alors déclaré : « Nous sommes sur le point de réaliser des investissements de grande envergure et d’importance stratégique d’une valeur record de 17,6 milliards de dollars (16,2 milliards d’euros) ». Parmi ces projets figure la construction d’usines de traitement du gaz à hauteur de 5,7 milliards de dollars (5,2 milliards d’euros).

Il semble que les sombres prévisions concernant les usines de traitement de gaz ne se soient pas réalisées.

Botagoz Omarova
Journaliste pour Cabar Asia

Traduit du russe par Alan Abdullaev

Edité par Ernest Delmontey

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Commentaire (1)

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Vincent Gélinas, 2024-08-28

Le Qatar est certainement plus pragmatique que ce que suggère monsieur Askar Ismaïlov. On ne devient pas riche et commerçant intertional comme le Qatar avec une telle susceptibilité sur les discours de dirigeants étrangers.

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