Dans l’oblys du Kazakhstan-Septentrional, il existe huit communautés monastiques féminines d’obédience catholique, dont deux monastères. Les nonnes du premier donnent des spectacles, tandis que celles du second ne sortent jamais. Le média Cabar, la branche centrasiatique de l’Institute for War & Peace Reporting, propose d’explorer leurs murs.
Au siècle dernier, le Kazakhstan-Septentrional était un lieu d’exil pour les peuples réprimés. Par exemple, 35 820 Polonais ont été déportés d’Ukraine vers le Kazakhstan en 1936, dont 99,8 % se sont retrouvés dans la partie Nord du pays. Se rattachant traditionnellement à la foi catholique, ils l’ont emportée avec eux.
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Dix églises catholiques sont encore actives dans cet oblys. Elles suscitent l’intérêt des pèlerins comme des touristes. La région compte huit communautés monastiques féminines, dont deux monastères. Le premier, affilié à la Congrégation des Sœurs de Notre-Dame de la Miséricorde, se situe à Petropavl, centre administratif de l’oblys, et le second dans la petite ville d’Ozernoïe du district de Taïyncha. Eléna Kouznetsova, correspondante de Cabar, les a visités et a appris comment se structure la vie des bonnes sœurs.
Pèlerinage et devoir de mémoire
Kinga Pietkiewicz est arrivée de Pologne en 1995. « L’appel du sang » a dirigé cette femme alors âgée de 73 ans dans ce voyage lointain et difficile. En effet, c’est ici, dans l’oblys du Kazakhstan-Septentrional, que son père réprimé et toute sa famille sont enterrés. Il y avait aussi une autre raison derrière ce voyage : une motivation religieuse.
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En Pologne, Sœur Kinga était moniale chez les Sœurs de Notre-Dame de la Miséricorde. Elle s’est rendue au Kazakhstan à l’invitation d’un coreligionnaire qui, à l’époque, avait déjà entamé la construction d’une église catholique à Petropavl. Avant le voyage, Sœur Kinga a rempli le formulaire de candidature missionnaire auprès de son évêque, et à la question du temps qu’elle consacrerait à cette mission, elle a écrit : « Jusqu’à la fin de mes jours ».
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Mais elle n’a été envoyée au Kazakhstan que pour un an, avec la consigne de retourner ensuite en Pologne. Cependant, la bonne sœur est décédée subitement. Lors de ses funérailles, le doyen du Kazakhstan-Septentrional Tomasz Peta, actuellement archevêque d’Astana, a déclaré : « Le Kazakhstan aussi a droit à la miséricorde divine ». C’est en tout cas ce que raconte Sœur Anastasia Omelczenko du monastère de Petropavl.
Un lieu empreint de souffrance
L’église catholique locale a acheté un ancien hôpital en ruines dans le centre de Petropavl et l’a restauré pour y installer le monastère. « Nos paroissiens se rappellent même avoir fait la queue dans le couloir. Encore maintenant, nous trouvons des instruments médicaux lors de travaux d’entretien », explique Sœur Angelina Stolyarevskaïa. La dignité féminine est l’un des thèmes clefs pour les moniales de la Congrégation polonaise, fondée au XIXème siècle par Mère Thérèse Eve Potocka (1814-1881) précisément dans le but d’éduquer les femmes « ayant besoin d’un profond renouveau moral ». Autrement dit, les religieuses aidaient les femmes que la société avait marginalisées pour différentes raisons, comme la prostitution.
Actuellement, sept adolescentes vivent dans le monastère de Petropavl avec trois sœurs et reçoivent une éducation laïque dans des collèges. Les moniales font généralement venir des jeunes filles des villages voisins, issues de familles défavorisées ou monoparentales. Chez les religieuses, celles-ci peuvent recevoir l’expérience nécessaire pour mener une vie indépendante.
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Les sœurs accomplissent aussi une œuvre missionnaire : elles partagent leurs opinions religieuses avec les gens, répandent la miséricorde, organisent des réunions pour les femmes, s’occupent du catéchisme pour les enfants et les jeunes de la paroisse et donnent leur aide autant que possible à ceux qui la demandent.
Les religieuses trouvent également du temps pour des activités créatives. Pour le festival de la jeunesse catholique, qui se tient chaque année dans le village d’Ozernoïe, les sœurs ont spécialement préparé un spectacle adapté du roman Comme les pieds d’une biche sur les hauteurs de Hannah Hurnard avec des acteurs du théâtre de Petropavl. Cette pièce raconte comment une jeune fille devient une chrétienne croyante, et Sœur Bakita Voronova tenait le rôle principal.
La Sainte Vierge et du poisson
Les carmélites déchaussées du couvent de la Divine Miséricorde et du Cœur Immaculé de Marie mènent une vie autrement plus austère. Chez elles, pas de pièces de théâtre, ni de sorties du cloître. Ce second monastère du Kazakhstan-Septentrional a été fondé en juin 2007 au bord d’un lac et son emplacement n’a pas été choisi par hasard.
En mars 1941, après un dégel soudain, le lac s’est rempli d’eau et de poissons (le poisson est aussi un symbole majeur, symbolisant les premiers chrétiens, ndlr). Il devint ainsi une planche de salut pour les Polonais déportés d’Ukraine vers le village d’Ozernoïe, qui souffraient de faim.
« Ici, nous avons entendu de nombreuses histoires de déportés reconnaissants envers les Kazakhs qui les avaient aidés dans ces conditions en partageant jusqu’à la dernière bouchée. Ils les ont encouragés et assistés. Beaucoup ont été sauvés grâce à cela », explique Sœur Elizavéta (dans le siècle, Elżbieta Jablonka). Les fidèles du village ont considéré l’apparition du lac en cette période difficile et au moment le plus nécessaire comme un miracle accompli par la Sainte Vierge.
Un message de paix universel
Aujourd’hui, le site d’Ozernoïe abrite des sites religieux révérés par les catholiques. En 1992, l’église Notre-Dame de la Paix y a été construite. Cinq ans plus tard, une statue consacrée en Pologne par le pape Jean-Paul II représentant la Vierge Marie avec un filet de pêche a été érigée au bord du lac en signe de gratitude pour les vies sauvées. Puis, en 1998, une croix de 12 mètres de haut a également été dressée en souvenir de toutes les victimes de la répression au Kazakhstan. La prière suivante est inscrite sur la croix en kazakh, en polonais, en russe et en allemand :
Louange à Dieu
Paix aux Hommes
Le Royaume des Cieux aux martyrs
Gratitude au peuple kazakh
Prospérité au Kazakhstan
Ce souhait, les quatre sœurs du monastère le répètent dans leurs huit heures de prières quotidiennes. « Nous prions toujours pour ceux qui souffrent et pour ceux traversés par la souffrance. En ce moment, il y a la guerre entre l’Ukraine et la Russie, entre Israël et la Palestine et dans d’autres pays que nous ne connaissons pas : nous n’avons pas Internet. Nous glorifions Dieu pour le salut de toute l’humanité », déclare Sœur Elizavéta.
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Toutes les quatre sont arrivées de Pologne il y a une quinzaine d’années et n’ont pas quitté la paroisse depuis lors, s’adressant très rarement aux visiteurs du monastère, et uniquement à travers des barreaux. Cette vie cloîtrée imite ainsi le comportement du Christ, qui se retirait dans la prière.
Sanctuaire national du Kazakhstan
En 2011, Ozernoïe a été déclaré Sanctuaire national de la république par décision de la conférence des évêques catholiques du Kazakhstan. Le village d’Ozernoïe est un lieu de pèlerinage pour des fidèles de différents pays, notamment de Russie, de Pologne et d’Allemagne. Des festivals de jeunesse catholique réunissant des croyants venus des différentes régions du pays et de l’étranger y ont également lieu chaque année.
D’après le curé de la paroisse, le Père Mariusz Stawarz, l’icône Ouly Dala Anassy (« Mère de la grande steppe ») sera amenée à Ozernoïe dans le courant de l’année. Cette icône représentant la Mère de Dieu et l’Enfant dans le style national kazakh a été peinte par l’artiste Dobsol Kassymov d’Almaty. Lors de sa visite pastorale au Kazakhstan de septembre 2022, le pape François a personnellement béni cette icône. Elle se trouve maintenant dans la cathédrale catholique d’Astana et il est prévu que sa nouvelle demeure à Ozernoïe soit une yourte.
Elena Kouznetsova et Tatiana Troubatchiova
Journalistes pour Cabar
Traduit du russe par Adrien Mariéthoz
Édité par Victor Gomariz
Relu par Charlotte Bonin
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