Lors d’une session spéciale de la chambre haute, Gourbangouly Berdimouhamedov a annoncé sa démission ainsi que l’organisation d’élections présidentielles anticipées. Quelques jours plus tard, son fils Serdar Berdimouhamedov a présenté sa candidature. Les experts sont certains qu’il assumera la fonction de président. De fait, les espoirs d’une rupture dans le système Berdimouhamedov sont ténus.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 23 février 2022 par notre version allemande. L’Ouzbékistan et le Kazakhstan ont montré ces dernières années comment la transition présidentielle peut se dérouler plus ou moins facilement dans les systèmes politiques autoritaires d’Asie centrale. Le Turkménistan apporte à son tour une réponse : une transmission dynastique du pouvoir doit avoir lieu entre le président Gourbangouly Berdimouhamedov, dit Arkadag (« le protecteur »), en poste depuis 2007, et son fils Serdar Berdimouhamedov.
La candidature prévisible de Serdar Berdimouhamedov
Le président a officiellement lancé le processus de transition du pouvoir lors d’une session spéciale du Conseil du peuple – le Halk Maslahaty –, la chambre haute du parlement turkmène, le 11 février 2022. À l’issue d’une séance consacrée à l’adoption d’un nouveau plan de développement socio-économique sur 30 ans, Gourbangouly Berdimouhamedov a annoncé qu’il avait atteint « l’âge du prophète » il y a deux ans déjà, et qu’il souhaitait laisser la place à de « jeunes dirigeants » pour la « nouvelle phase de développement du Turkménistan ». Il a ensuite fixé les élections présidentielles au 12 mars 2022, alors qu’elles ne devaient avoir lieu qu’en 2024. Des spéculations ont rapidement vu le jour sur le fait que son fils prendrait la présidence. La carrière politique fulgurante de ce dernier et la multiplication de ses récentes apparitions publiques ont alimenté ces hypothèses.
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Quatre jours plus tard, l’agence de presse officielle turkmène TDH a annoncé que Serdar Berdimouhamedov se présenterait sous les couleurs du Parti démocratique. Le fait qu’il sorte vainqueur de l’élection est indiscutable. « La passation de pouvoir était prévisible, il suffisait d’une occasion appropriée. Seuls le moment et la manière étaient ouverts», commente pour Novastan Slavomír Horák, professeur associé au département d’Etudes russes et d’Europe de l’Est de l’université Charles de Prague. Cependant, les raisons qui ont poussé Gourbangouly Berdimouhamedov à sauter le pas précisément maintenant sont indéterminées.
Différentes hypothèses
Il est difficile de savoir si les élections présidentielles anticipées étaient prévues de longue date ou si les troubles au Kazakhstan ont précipité sa décision. Mais pour Slavomír Horák, le lien souvent établi avec l’instabilité kazakhe ne représente qu’une explication partielle : «Du point de vue turkmène, la situation n’est pas instable.Certes, les événements au Kazakhstan ont accéléré le processus, mais ils ne l’ont pas initié. Celui-ci était déjà en cours depuis longtemps ». La supposée mauvaise santé de Gourbangouly Berdimouhamedov, qui fait l’objet de spéculations depuis sa disparition de la scène publique durant plusieurs semaines en 2019, pourrait constituer une autre raison. Temour Oumarov, du think tank Carnegie Moscow Center, fait référence au symbolisme des dates choisies, qui jouent un rôle important dans la culture politique hautement ritualisée du Turkménistan. Ainsi, Gourbangouly Berdimouhamedov a annoncé sa démission le jour du 15ème anniversaire de sa présidence. La date du 12 mars 2022, à laquelle doivent avoir lieu les élections, est également symbolique : exactement un an plus tôt, son fils prenait le poste de vice-premier ministre, créé spécialement pour lui. Lire aussi sur Novastan :Le président du Turkménistan nomme son fils comme vice-premier ministre Enfin, l’âge de Serdar Berdimouhamedov pourrait également avoir joué un rôle : âgé de 40 ans, il n’est constitutionnellement autorisé à se présenter à la présidence que maintenant, même si l’anticipation de l’élection est en soi contraire à la Constitution. Pour Slavomír Horák, cela «donne au moins l’image d’une passation de pouvoir conforme à la Constitution. Aucune opposition ne pourrait critiquer cette procédure».
À quels changements s’attendre ?
L’image publique de Serdar Berdimouhamedov est jusqu’à présent restée floue. Selon Slavomír Horák, il serait décrit comme doté d’un « caractère difficile », rabaissant les gens qui l’entourent. En même temps, il a peur de s’exprimer en public, il est «peu entreprenant et sans charisme ». On sait cependant qu’après des études d’agronomie au Turkménistan, il a étudié à l’Académie diplomatique du ministère des Affaires étrangères à Moscou et au Centre de politique de sécurité de Genève. Après sa formation à l’étranger, il a occupé plusieurs postes politiques dans son pays : député, vice-ministre des Affaires étrangères, gouverneur de la province d’Ahal, ministre de la Construction et de l’Industrie, puis vice-premier ministre. Sa présence dans les médias a accompagné son ascension politique. Dans les médias d’État, Serdar Berdimouhamedov a été montré aux côtés ou à la place de son père, notamment lors d’inaugurations officielles ou de rencontres bilatérales. Il ne faut pas s’attendre à un retrait complet de l’Arkadag de son pouvoir politique, mais plutôt à l’émergence d’un modèle de direction dualiste à l’image du Kazakhstan, dans lequel Gourbangouly Berdimouhamedov présidera le Conseil du peuple. Slavomír Horák souligne en outre l’importance du pouvoir informel : « Gourbangouly Berdimouhamedov conservera des positions importantes sur le plan formel et, plus important encore, sur le plan informel.Après tout, l’élite est constituée de la famille Berdimouhamedov. Depuis la mort de son père l’année dernière, il s’est hissé au rang de chef. Il résout les tensions internes et coordonne les activités entrepreneuriales. »
Une croissance faible
Les experts n’espèrent donc pas que la crise socio-économique s’atténue avec Serdar Berdimouhamedov. Depuis la pandémie, le pays est complètement isolé par la fermeture des frontières, ce qui a aggravé la pénurie alimentaire. Les Turkmènes font régulièrement la queue pendant des heures pour acheter des denrées alimentaires de base, tandis que les membres de la famille de Berdimouhamedov profitent de la corruption liée aux importations de nourriture. Le taux de chômage élevé pousse de plus en plus de Turkmènes à émigrer. Selon Slavomír Horák, entre 1 et 2 millions de personnes ont émigré. Lire aussi sur Novastan : Turkménistan : la famille du président profite de la faim de la population Selon les données officielles du gouvernement, le Turkménistan affiche une « croissance stable du produit intérieur brut » de 6,2 % en 2021. En revanche, les estimations du Fonds monétaire international (FMI) indiquent que la croissance économique était de 0,8 % en 2020. La répression politique est omniprésente dans la vie quotidienne, même au-delà des frontières nationales. L’année dernière, l’organisation Human Rights Watch a rapporté que des parents d’opposants politiques ou des membres de l’opposition étaient même persécutés à l’étranger. Certes, lors de la session spéciale du Conseil du peuple le 11 février, le gouvernement a adopté une nouvelle stratégie intitulée « Relancer une nouvelle ère d’un État puissant : le programme national de développement socio-économique du Turkménistan pour les années 2022-2052 », qui doit améliorer le niveau de vie de la population. Mais pour Slavomír Horák, cette soi-disant nouvelle stratégie n’existe que « sur le papier, afin d’être citée ».
Un potentiel de protestation limité
Même si des protestations liées à l’augmentation des prix ont eu lieu en janvier 2022, les mécontentements sociaux sont rarement exprimés publiquement en raison de la répression. Selon Slavomír Horák, des troubles de grande ampleur sont également peu probables parce que « la population la plus active économiquement se trouve à l’étranger». Il est peu probable que les retraités, les enfants, les fonctionnaires ou les membres de l’élite qui restent dans le pays soient à l’origine de protestations. Lire aussi sur Novastan : Le Turkménistan met en place sa réforme constitutionnelle : un parlement élargi et une succession clarifiée La nécessité de changements, au moins cosmétiques, sous Serdar Berdimouhamedov reste par conséquent controversée. « Dans le jeu de Berdimouhamedov, c’est la population qui trinque, car Serdar est le candidat de la continuité, pas celui du changement. Nous verrons encore la même chose, mais avec un président plus jeune », résume Luca Anceschi, professeur à l’université de Glasgow, dans le podcast Majlis de Radio Free Europe.
En attendant les élections
Depuis l’annonce de l’élection présidentielle le 12 mars 2022, huit autres candidats ont été désignés. Parmi eux se trouvent le vice-gouverneur de la province de Mary, Agaïan Bekmyradov, pour le parti agraire, le médecin chef d’un sanatorium d’Achgabat, Berdimammet Khanmamedovitch Gourbanov, et le directeur d’une école de finance et d’économie, Perkhat Gouvanchgoulievitch Begeniov. Les préparatifs des élections sont également perceptibles ailleurs. Selon l’agence d’information gouvernementale TDH, Serdar Berdimouhamedov a rencontré des électeurs le 21 février dernier pour présenter ses projets politiques. Le culte de la personnalité autour du président, caractéristique au Turkménistan, commence à intégrer Serdar Berdimouhamedov dans sa narration. Le portail d’information Chronika Turkmenistana a ainsi rapporté que les enseignants des écoles secondaires ont reçu pour consigne de vanter les réalisations de Serdar Berdimouhamedov au début de leurs cours.
Selon les correspondants de Radio Azatlyk, la branche turkmène du média Radio Free, la baisse des prix des denrées alimentaires, la disponibilité d’argent liquide dans les distributeurs automatiques et l’amélioration du taux de change du dollar sont d’autres indices de l’élection à venir. Il s’agit sans doute là d’une stratégie politique visant à augmenter la popularité de Serdar Berdimouhamedov. Après les élections, tout devrait revenir à la normale. La passation de pouvoir sera probablement une période de vulnérabilité pour le Turkménistan, avec de nombreuses questions en suspens. Pour Slavomír Horák, la prochaine étape de l’élection présidentielle est toutefois claire : « La seule question est de savoir avec quel score va gagner SerdarBerdimouhamedov, “seulement” 90 % ou avec une approbation proche des 100 % ».
Jana Rapp Rédactrice pour Novastan
Traduit de l’allemand par Marc Gruber
Relu par Emma Jerome
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