Le « marché du jeudi » appelé Panjchanbé, est l’un des bazars les plus anciens d’Asie centrale. Il est le symbole de la ville de Khoudjand. Après avoir été privé pendant 21 ans puis confié à un syndicat, il a été de nouveau privatisé par un propriétaire inconnu, le 14 avril 2021.Novastan reprend et traduit ici un article publié le 3 juin 2021 par Radio Ozodi, la branche tadjike du média américain Radio Free Europe.Le Bazar a été acheté pour la première fois en 1999 par l’homme d’affaires Abdourahim Ismoïlov pour 80 millions de somonis (6 080 655 euros). La revente du marché était contraire à la loi et avait été effectuée de manière clandestine. Alors que les autorités considéraient sa première privatisation illégale, elles auraient maintenant « légalisé » le processus.Cependant, en 2020, les autorités ont découvert une erreur dans les documents de la privatisation. Ils ont donc restitué le lieu à son ancien propriétaire, le syndicat Tojikmatloubot. Aujourd’hui, le marché a été reprivatisé. Ce processus s’apparente à une opération spéciale dans laquelle le marché passe d’une personne à une autre.
Un manque d’informations
Selon les documents que Radio Ozodi a obtenu, le propriétaire du « marché du jeudi » est la société de construction Mehan. La commission fiscale a refusé de fournir davantage d’informations à ce sujet. Le chef du département d’immatriculation, Abdounabi Sattorzoda a déclaré : « Il est impossible de fournir ces informations. »
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Il n’y a que peu d’informations disponibles sur la manière dont cette entreprise nouvellement créée a pu gagner suffisamment d’argent pour acheter le grand Bazar. Seule la date de création de l’entreprise est connue : le 10 juin 2020.Lire aussi sur Novastan : Quels sont les secrets des archives nationales du Tadjikistan ?
Somon Soughd et Hassan Asadoullozoda
Les services de la Radio Ozodi rapportent que le Bazar Panjchanbé appartient en vérité à l’entreprise Somon Soughd. Le président de l’entreprise, Saïdrahmon Khidirov, a cependant déclaré dans une réponse écrite que la société « ne possède pas le marché de Panjchanbé ».Ibodoullo Nouriddinov a été nommé responsable du marché. Il a travaillé pendant de nombreuses années, dans diverses entreprises liées à Hassan Asadoullozoda et ses proches. Selon certaines sources, il est : « L’homme de Hassan Asadoullozoda. »
S’il est supposé que le marché appartient à Somon Soughd, c’est en partie car le compte bancaire de l’entreprise a été transféré à Orienbank juste après la reprivatisation. Hassan Asadoullozoda est à la tête de cette banque.Un entrepreneur qui voulait ouvrir une boutique dans le Bazar Panjchanbé est parti à la recherche de ses/son propriétaire(s). Lorsque le commerçant a appelé le siège social de Somon Soughd avec cette demande, un employé de la société a confirmé le transfert du Bazar à la société. De plus, le salarié a recommandé de parler au vice-président ou à l’économiste en chef de l’entreprise, pour examiner la candidature.
Les premiers pas du nouveau propriétaire
Les commerçants du marché se disent inquiets des premiers pas du nouveau propriétaire. Le 1er avril 2021, le président de Somon Soughd, Khourcheda Boboeva, a été limogé et remplacé par Ibodoullo Nouriddinov. Il avait été nommé un an plus tôt.L’Association des commerçants du marché, un organisme de défense des droits de l’Homme, existait depuis 21 ans et avait un bureau à l’intérieur du Bazar. L’association a été dissoute, sous prétexte que : « Plus personne n’en avait besoin. »
Dans le même temps, le loyer ou la location d’espace sur le marché a été augmenté pour certains commerçants. Néanmoins, leur contrat est officiellement renouvelé et le montant des paiements n’y est pas précisé. D’autre part, Khourcheda Boboïeva a été renvoyé à la gestion du marché. Bien que sa fonction officielle ne soit pas reconnue, le nouveau président passerait la plupart de son temps à Douchanbé.Les vendeurs du marché ont déclaré que le nouveau propriétaire essaie de : « Tout changer, des points de contrôle aux autres administrateurs du marché. Maintenant, Khourcheda Boboïeva montre au nouveau directeur comment gérer le Bazar. » L’avenir des prix et la façon de travailler sur ce marché dépendent désormais de la volonté des nouveaux propriétaires.
Réponse de Tojikmatloubot
La reprivatisation du marché de Panjchanbé a également été confirmée par son ancien propriétaire, le syndicat Tojikmatloubot, dans une réponse écrite à Radio Ozodi. La lettre, signée par le président Houssein Idiev, ne dit qu’une chose : « Oui, le marché a été vendu à un “citoyen de la République du Tadjikistan”. »Cependant, dans une lettre datée du 28 avril 2021, Radio Ozodi avait demandé au président du Tojikmatloubot de répondre, conformément à la loi, aux questions qui lui avaient été posées : comment la privatisation du marché de Panjchanbé s’est-elle déroulée ? A-t-il été mis en vente à la suite d’une vente aux enchères ou d’une autre méthode ? Si le marché a été mis aux enchères, combien de personnes ou d’entreprises ont postulé pour acheter le marché ? À quel prix le Bazar Panjchanbé a-t-il été mis en vente, et quelle entreprise ou entrepreneur en est le nouveau propriétaire ? Après la privatisation du Bazar, Tojikmatloubot contrôlera-t-il ou non, les prix sur ce marché ?Le président Houssein Idiev a refusé de commenter les détails de la privatisation de ce complexe. Il affirme que les biens ont été vendus à un citoyen, mais refuse de le nommer. Si une vente aux enchères a eu lieu et que l’un des rares acheteurs a gagné en offrant un meilleur prix, si tout le processus s’est déroulé légalement, à quoi cela sert-il de garder le nom du nouveau propriétaire secret ?Lire aussi sur Novastan :Tadjikistan : les bâtiments historiques de Douchanbé en danger
Un secret malgré la loi
Le secret entourant l’achat et la vente du Bazar est bien gardé, bien que la loi oblige les autorités à le signaler aux médias.L’article 16 de la loi « sur la privatisation des biens de l’État » stipule : « L’organisme public autorisé et chargé de la gestion des biens de l’État de la république du Tadjikistan, doit diffuser les informations sur le processus de privatisation des biens de l’État dans les médias. »
Pourquoi le Bazar de Panjchanbé a-t-il été privatisé de nouveau ?
Les experts se demandent pourquoi, après avoir été propriétaire pendant un an, il a été décidé de le vendre. Ce marché était-il non rentable et en état de faillite ? Selon des experts et certains hommes d’affaires interrogés par Radio Ozodi, il n’y avait aucune raison financière de privatiser l’entreprise. Les statistiques montrent que le marché est rentable.
« En outre, un contrôle plus poussé des prix sur le marché Panjchanbé sera de la responsabilité de son propriétaire », a conclu Houssein Idiev. Ceci en dépit du fait que le contrôle des prix par l’ancien propriétaire pourrait être meilleur pour la population que celui d’un inconnu.Dans les 66 marchés qui appartiennent à cette institution, les prix sont plus stables que sur les marchés privés. Face au mécontentement du gouvernement lié à leur hausse constante, Tojikmatloubot organise des foires à la demande du gouvernement pour réduire le fardeau des prix sur la population. Ainsi, l’un des plus grands marchés, qui est aussi un outil important pour le contrôle des prix, est confié à un particulier.
Qu’est-ce que Somon Soughd ?
Un commerçant a été conseillé de contacter la direction de Somon Soughd et de résoudre sa proposition commerciale avec eux. L’homme d’affaires a déclaré que ses contacts avec plusieurs employés de l’entreprise montraient que Somon Soughd était le véritable propriétaire du marché de Panjchanbé.Somon Soughd est une grande entreprise diversifiée avec plus de 20 firmes. Selon le registre unifié des entités juridiques, les fondateurs sont Amonoullo Sadoulloïev et la société holding Ismoili Somoni. Le propriétaire d’Ismoili Somoni est l’Organisation pour la prévention du crime organisé et de la corruption (OCCRP). Son investisseur Hassan Asadoullozoda, le président d’Orienbank, est le beau-frère du président.Lire aussi sur Novastan : Comment les zones franches du Tadjikistan traversent la pandémie : l’exemple de Soughd Somon Soughd possède des dizaines d’entreprises et de marchés, principalement dans la région de Soughd. On compte parmi celles-ci un réseau de vente Duty Free, plusieurs compagnies spécialisées dans l’extraction et le commerce de pierres et de métal, des sociétés de textiles et de service, la société propriétaire du terminal 1 de l’aéroport de Ghafourov, un entrepôt douanier pour le stockage des marchandises et une chaîne de restaurants.
Comment Fortuna a-t-il perdu Panjchanbé ?
Jusqu’en 2020, le marché de Panjchanbé appartenait à l’entreprise Fortuna. Après 21 ans, les autorités ont déclaré le processus de privatisation illégal en 1999 et le marché a été rendu à Tojikmatloubot.
Après plusieurs audiences à différents niveaux du tribunal, il a été décidé de donner à Fortuna 3 385 000 somonis (257 302 euros) en échange du marché. Les propriétaires précédents n’étaient pas d’accord avec ce prix et ont déclaré avoir acheté Panjchanbé pour 83 millions de somonis (6 308 066 euros). Ils clamaient avoir dépensé beaucoup d’argent pour son entretien et son développement pendant ces 21 années. De ce fait, 3, 385 millions de somonis (257 302 euros) ne couvriraient pas leurs pertes.
En 2020, des administrateurs et entrepreneurs du marché ont écrit une lettre au gouvernement, les exhortant à restituer leurs biens légaux. Selon eux, ils ont été « injustement » et « illégalement » confisqués. Cependant, le tribunal du Tadjikistan a statué en faveur de Tojikmatloubot.Le Bazar est situé à côté du complexe de la Mosquée Cheikh Muslihiddin Khodjenti. Créé en 1964, Panjchanbé emploie environ 1 300 entrepreneurs.
La rédaction de Radio Ozodi
Traduit du tadjik par Simon Besse
Édité par Johanna Regnaud
Relu par Emma Jerome
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