Les arrestations et emprisonnements de journalistes et de blogueurs au Tadjikistan ont transformé le journalisme en une profession dangereuse. Les autorités du Tadjikistan continuent de renforcer la pression.
Être journaliste au Tadjikistan s’avère être de plus en plus dangereux. Les pressions exercées par les autorités, les arrestations et condamnations ainsi que les passages à tabac sont nombreux.
L’année 2022 a confirmé la dangerosité grandissante de cette activité professionnelle. La liberté d’expression est de plus en plus restreinte et la communauté journalistique décide davantage de garder le silence. De nombreuses organisations internationales de protection des droits de l’Homme réagissent, mais les autorités tadjikes nient en bloc le manque de liberté d’expression et d’opinion dans le pays.
Roustam Djoni, accusé d’activités extrémistes
Le 24 mars dernier, le département de police du quartier de Sino, à Douchanbé, a déclaré que Roustam Djoni faisait l’objet d’une procédure pénale. L’ancien journaliste de Radio Ozodi, la branche tadjike du média américain Radio Free Europe, vit maintenant à Prague.
Il a été précisé que Roustam Djoni était recherché et que les autorités enverraient une note officielle à Interpol avec une demande de coopération à son arrestation.
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Roustam Djoni et son épouse, Anora Sarkorova, ancienne journaliste pour la BBC, considèrent que les convocations des forces de l’ordre et les interrogatoires de leurs proches à Douchanbé sont des « tentatives pour les intimider » afin qu’ils arrêtent de publier des messages critiques sur les réseaux sociaux.
Khourched Fozilov, emprisonné à Khoudjand
Entre temps, cinq organisations internationales de défense des droits de l’Homme ont encouragé les autorités du Tadjikistan à libérer le journaliste détenu à Khoudjand, Khourched Fozilov.
Le Comité norvégien d’Helsinki, le Partenariat international des droits de l’Homme (IPHR), les défenseurs des droits civils (CRD), la Fondation d’Helsinki pour les droits de l’Homme (HFHR) et Front Line Defenders ont fait une déclaration commune le 24 mars dernier.
Le journaliste Khourched Fozilov, qui produisait des reportages pour des médias locaux de Pendjikent, dans la région de Soghd, a été arrêté le six mars dernier par les forces de l’ordre. Ses proches ont affirmé qu’il était accusé d’appels au bouleversement de l’ordre constitutionnel du Tadjikistan par le biais des médias ou par la communication Internet. Cet homme de 37 ans, père de trois enfants, est retenu au centre de détention provisoire de Khoudjand.
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Les cinq organisations, dans leur déclaration commune, constatent qu’en 2022, les autorités du Tadjikistan ont envoyé en prison sept blogueurs et journalistes. Il semble que « la campagne visant à réprimer les journalistes se poursuit. » Ils affirment que les affaires pénales contre les journalistes se font « dans le cadre d’une campagne visant à réprimer la dissidence au Tadjikistan. »
Des affaires examinées à huis clos
La déclaration indique que le pays ne respecte pas ses obligations en matière de liberté d’expression et examine les affaires des journalistes à huis clos, cachant les faits au public.
Les auteurs de la déclaration considèrent que l’affaire Khourched Fozilov est montée de toutes pièces et déclarent qu’aucune preuve de sa culpabilité n’a été montrée. Ainsi, ils affirment que sa détention est contraire à la loi. Ils ont appelé le gouvernement du Tadjikistan à s’en tenir à ses obligations internationales et à cesser de persécuter les journalistes.
Khourched Fozilov a travaillé pour des médias indépendants locaux et étrangers et a écrit essentiellement sur les problèmes des habitants de la vallée du Zerafchan, critiquant souvent les autorités locales. Il était actif sur les réseaux sociaux.
Il y a quelques années, à l’antenne de la télévision étatique du Tadjikistan, il a été désigné comme l’un des employés du site web indépendant Akhbor.com, émettant depuis Prague.
Le Tadjikistan, l’un des pays les plus répressifs d’Asie centrale
Freedom House, dans son dernier rapport, qualifie le Tadjikistan d’un des pays les plus répressifs d’Asie centrale. Publié le 9 mai dernier, le rapport indique que l’indice de liberté du Tadjikistan n’est que de 7 sur 100.
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Freedom House explique cette note basse par les nombreuses restrictions ayant été imposées aux journalistes, aux défenseurs des droits de l’Homme, aux organisations sociales et aux associations en 2022. Il indique également la détention de reporters et de blogueurs et la position compliquée des journalistes au Tadjikistan.
L’article 307 du code pénal tadjik, un instrument de lutte contre les journalistes
La journaliste tadjike Makhpora Kiromova estime que l’année 2022 a apporté des moments « très ardus » pour les journalistes et les blogueurs du Tadjikistan.
« Bien sûr, nous avons déjà ressenti des tensions auparavant. Mais l’année dernière, la décision a été prise d’éradiquer tous les signes de liberté d’expression. Malheureusement, l’article 307 du code pénal a été choisi comme instrument de lutte, ce qui a très facilement transformé les personnes libres d’esprit et possédant une plume en extrémistes », raconte Makhpora Kiromova.
Elle cite l’arrestation de huit journalistes et blogueurs qui sont accusés d’avoir des liens avec des organisations interdites et extrémistes et sont condamnés à de longues peines de prison. Les détentions ont commencé en mai 2022 suite aux actions de protestation dans le Haut-Badakhchan.
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Le 17 mai 2022, la journaliste et militante Oulfatkhonim Mamadchoïeva est arrêtée et, à la fin de l’année, condamnée à 21 ans de réclusion. Lors du processus judiciaire, qui s’est déroulé à huis clos, elle est reconnue coupable d’avoir commis des crimes graves, dont des appels au renversement du pouvoir, selon l’article 307 du code pénal de la République du Tadjikistan. La veille de son arrestation, la journaliste de 65 ans, dans un entretien avec des reporters, avait rejeté les accusations des autorités. Peu de temps après, le blogueur Khouchrouz Djoumaïev est également arrêté et condamné à huit ans de prison d’après le même article.
Plusieurs journalistes arrêtés
En juin et en juillet 2022, les autorités du Tadjikistan ont arrêté cinq journalistes et blogueurs tadjiks : Daler Imomali, Abdoullo Gourbati, Mouhammad Soulton, Abdoussattor Pirmoukhammadzoda et Zavkibek Saïdamini. Ils ont tous été reconnus coupables d’être liés à des organisations interdites et extrémistes. Daler Imomali a été condamné à dix ans de prison, les quatre autres à sept ans de prison. Tous les journalistes ont rejeté les accusations avancées contre eux et ont déclaré qu’ils étaient innocents.
Abdoussattor Pirmoukhammadzoda a écrit dans une lettre, depuis le centre de détention, qu’il avait été torturé au poste de police de la ville de Vahdat, pour l’obliger à prendre la responsabilité d’un crime qu’il n’avait pas commis. Par la suite, le Bureau du procureur général a rejeté cette plainte. Malgré l’abondance des critiques et des appels lancés par les organisations de défense des droits de l’Homme, le pouvoir n’a pris aucune mesure. Au contraire, la détention des journalistes se poursuit.
L’arrestation des huit journalistes et blogueurs a poussé le Comité de protection des journalistes (CPJ) à intégrer le Tadjikistan à la liste des 12 pays représentant une « prison pour journalistes ».
Nouriddine Karchiboïev, chef de l’Association nationale des médias indépendants du Tadjikistan (NANSMIT), dit que la détention de journalistes, y compris celle de Khourched Fozilov, est directement liée à leur activité professionnelle. « Ces agissements se font sentir négativement sur le travail des autres journalistes, renforcent l’autocensure dans la société, infligent des dommages à l’accomplissement des missions des journalistes en tant que pilier d’une société démocratique », explique Nouriddine Karchiboïev.
Des rédacteurs démis de leurs fonctions
Durant l’été 2022, la communauté journalistique et les médias du Tadjikistan ont violemment réagi au passage à tabac de Daler Imomali dans le bureau du procureur, ainsi qu’à l’attaque de quatre correspondants de Radio Ozodi. Mais, à propos de l’arrestation de Khourched Fozilov, la presse et les organisations journalistiques ont préféré garder le silence.
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Cependant, quelques jours plus tard, les hebdomadaires URSS, Todjikiston, Minbari Halk et Sadoï Mardoum ont officiellement retiré leurs déclarations. Plus tard, le rédacteur en chef de Minbari Halk, qui appartient au parti démocratique populaire au pouvoir, a été démis de ses fonctions, tout comme le rédacteur en chef de la publication parlementaire Sadoï Mardoum.
Nouriddine Karchiboïev constate que le « silence des organisations journalistiques ne signifie pas qu’elles sont d’accord avec la décision des autorités d’arrêter et de détenir Khourched Fozilov. »
Poussés à l’autocensure
Le correspondant de Cabar a appelé le Conseil des médias, l’une des principales organisations de médias au Tadjikistan, pour en apprendre plus sur cette affaire. Cependant, les représentants de cette organisation ont déclaré que « puisque les détails de l’affaire Khourched Fozilov ne sont pas connus, ils ne feront pas de déclaration. »
Le centre des enquêtes journalistiques et l’hebdomadaire URSS, dans lequel travaillait Khourched Fozilov, n’ont rien publié sur l’arrestation de leur correspondant. Les dirigeants n’ont pas commenté la situation non plus.
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La communauté journalistique tadjike avait déjà été choquée auparavant par la détention de confrères. Par exemple, en juin 2022, les organisations journalistiques tadjikes et plusieurs médias, y compris gouvernementaux, ont publié une déclaration commune à propos des tortures de Daler Imomali par le parquet du district de Chokhmansour, à Douchanbé.
Nouriddine Karchiboïev prétend que l’une des raisons du silence sur l’affaire Khourched Fozilov est l’autocensure de la société civile, qui est « la conséquence des poursuites et des pressions sur le pluralisme d’opinions dans la société. »
Les autorités tadjikes nient en bloc
Les autorités nient les restrictions aux libertés, y compris les pressions sur les journalistes. Cependant, après l’emprisonnement de huit journalistes et blogueurs, il est clair pour la société journalistique que « les limites autorisées sont déjà franchies ».
Abdoumalik Kadirov, chef de l’organisation Média-Alliance du Tadjikistan, considère que les restrictions aux libertés au Tadjikistan sont liées à la situation en Russie. Selon lui, les autorités tadjikes sont dévouées à la Russie et répètent ses actes. Dès que la répression a commencé en Russie, le Tadjikistan a décidé de suivre son exemple.
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« De cette façon, ils veulent étouffer les voix des libres penseurs pour renforcer le pouvoir », estime Abdoumalik Kadirov.
Les appels à la liberté et à l’arrêt des pressions sur les journalistes restent ignorés, ne laissant pas beaucoup d’espoir à la communauté journalistique tadjike. Les experts estiment que les journalistes tadjiks pourront surmonter cette période compliquée en respectant le professionnalisme et le respect des normes juridiques et éthiques.
« Il ne pourra pas toujours en être ainsi. Le journalisme ne peut pas mourir aussi facilement », estime Makhpora Kiromova.
La rédaction de Cabar
Traduit du russe par Naïs Chaudagne
Edité par Léane Vanier
Relu par Mathilde Garnier
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