Depuis l’indépendance ouzbèke, les programmes d’histoire ont été largement réécrits afin de valoriser les récits et personnages considérés comme éléments de l’identité nationale.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 19 février 2020 par le média ouzbek Hook.report.
Depuis l’indépendance de l’Ouzbékistan en 1991, l’idéologie du parti communiste, matière principale des manuels d’histoire ouzbeks, a progressivement laissé la place à une histoire plus ancienne, composée des récits des grands héros nationaux.
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Dans le même temps, l’histoire du monde a été réduite à sa portion congrue et les modalités d’enseignement ont fait perdre ses lettres de noblesse à une discipline académique reléguée au second plan.
Une histoire nationale glorifiée
Dès l’indépendance, l’Ouzbékistan, tout comme les autres pays de l’espace post-soviétique, s’est lancé dans un processus de refonte globale de ses programmes d’histoire. L’éloge des soviets, de la révolution russe et la critique sans concession du régime tsariste, ont été remplacés par un programme scolaire scindé en deux parties, l’histoire nationale et l’histoire du monde.
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De 1992 à 1995, les premiers manuels d’histoire jetaient un regard plutôt nuancé sur le Turkestan (1865-1924) et l’Ouzbékistan soviétique (1924-1991). Les mouvements de libération, parfois réprimés dans le sang, étaient décrits, tout comme le mouvement général d’un pays qui s’est progressivement modernisé et industrialisé.
En 2001, la publication d’un manuel intitulé « Histoire de l’Ouzbékistan (seconde moitié du XIXe siècle au début du XXe siècle » par l’historien J. Rakhimov provoque une première rupture. Très critique vis-à-vis des actions de l’Empire russe et de l’URSS, il suscite un vif débat et sera finalement retiré de la circulation.
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Pour autant, les programmes scolaires ouzbeks continueront d’attacher progressivement une importance de plus en plus forte aux récits des héros nationaux, des Timourides (1405-1507) à Sharof Rachidov (1917-1983). Les programmes de littérature suivront la même trajectoire, en ajoutant à l’étude des classiques russes et étrangers les auteurs nationaux.
Une histoire du monde reléguée à l’arrière-plan
L’histoire du monde connaîtra une évolution inverse et se retrouvera progressivement réduite à sa portion congrue. Alors que, pendant l’époque soviétique, l’étude des civilisations mondiales était une part importante du programme, l’Afrique est aujourd’hui traitée en quelques heures, et les mythes de la Grèce antique ne se voient pas octroyer plus d’un sous-chapitre. Or, penser que l’histoire du monde ne mérite pas plus d’attention est justement révélateur du regard que l’on porte sur cette discipline et est profondément problématique.
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Le contenu des programmes n’est pas le seul changement ayant affecté l’enseignement de l’histoire. Des 1992, contre l’avis de la majorité des professeurs d’histoire, les questionnaires à choix multiples (QCM) ont remplacé les examens écrits ou oraux. En 1994, le gouvernement ouzbek a créé une organisation nationale, le Centre national de l’évaluation par tests, afin de développer ces pratiques.
L’utilisation des QCM représente un certain nombre d’avantages pour évaluer les acquis des élèves, en particulier la transparence, l’objectivisation et l’uniformisation. Ils ont cependant l’inconvénient de réduire un examen à une suite de réponses courtes, sans relations les unes avec les autres, et sans analyse des capacités analytiques des élèves.
Le nivellement par le bas des différentes filières
Lors de la rentrée scolaire de 2017, la réforme du secondaire a porté un nouveau coup à l’enseignement de l’histoire. L’obligation d’une durée de scolarité de 11 ans a été mise en œuvre sans que les programmes scolaires ni les manuels ne soient réellement adaptés à cette nouvelle situation.
Les lycées académiques, dans lesquels l’histoire était enseignée d’une manière plutôt approfondie à partir des manuels Histoire du monde de M. Lafassov et Histoire de l’Ouzbékistan, de K. Oussmanov, ont vu leur programme assimilé à celui plus réduit des écoles généralistes et une durée d’enseignement passer de trois à deux ans.
Cette réforme avait pour objectif de mettre sur un pied d’égalité les élèves des lycées académiques et écoles généralistes. Elle a en réalité conduit à un nivellement par le bas de l’enseignement de l’histoire, et gommé la spécificité des lycées. Six mois après la réforme, des manuels uniques, truffés de fautes, ont été mis en place d’une manière précipitée pour toutes les classes de dixième et onzième.
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Plus récemment, en 2020, le gouvernement a inscrit l’histoire nationale dans la liste des matières obligatoires pour candidater à l’université, au même titre que la langue maternelle et les mathématiques. Si l’opinion publique est consensuelle sur la nécessité pour ses jeunes citoyens de connaître l’histoire de son pays, cette décision a été particulièrement mal vécue par de nombreux candidats, en particulier ceux postulant dans les facultés techniques et n’ayant qu’un intérêt limité pour les sciences humaines.
Une discipline académique délaissée
La connaissance de l’histoire nationale et du monde est certainement un facteur déterminant et indispensable à la constitution de l’élaboration d’une vision d’une monde. Cette connaissance n’est pas que factuelle, tant elle vise surtout, au-delà des principaux évènements et époques, à favoriser la construction d’un esprit critique et analytique.
Or, à l’heure actuelle, l’histoire est avant tout vue comme une matière qu’il faut bachoter afin de passer un examen ou de réussir l’entrée à l’université de droit ou de langues. D’ailleurs, en cas de succès d’entrée dans ces universités, l’enseignement de l’histoire est alors tout simplement repris de zéro. Peu de candidats se dirigent vers des études ou des carrières académiques en histoire. Des changements radicaux, tant dans l’enseignement de l’histoire que dans sa perception, sont nécessaires afin de restaurer l’attractivité de cette discipline et d’augmenter le nombre de chercheurs et d’enseignants qualifiés.
Daria Solod
Journaliste de Hook.report
Traduit du russe par Daniel Le Botlan
Édité par Grégoire Odou
Corrigé par Aline Simonneau
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