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Activités religieuses en Ouzbékistan : laïcité ou restriction ?

Des images montrant la police ouzbèke empêcher des jeunes et des enfants d’accomplir une prière dans une mosquée ont fait surface, lançant un débat sur la liberté d’expression religieuse dans le pays. 

Mosquée Ouzbékistan
L'Etat ouzbek entretient des rapports compliqués avec l'islam (illustration). Photo : Bgag / Wikimedia Commons.

Des images montrant la police ouzbèke empêcher des jeunes et des enfants d’accomplir une prière dans une mosquée ont fait surface, lançant un débat sur la liberté d’expression religieuse dans le pays. 

Dans une vidéo diffusée par plusieurs comptes sur les réseaux sociaux, un groupe de jeunes et d’enfants se voit empêché par la police de prier. Cette scène a eu lieu dans une mosquée de la ville de Koson, située dans la région de Kachkadaria en Ouzbékistan.

Le policier, selon les informations fournies par la branche française de média turc Nouvelle Aube (Yeni Şafak), a également enregistré leur noms et les écoles qu’ils fréquentaient.

Une population à majorité musulmane

Le sujet de l’expression religieuse en Ouzbékistan, comme dans les pays voisins, reste plein de paradoxes. C’est un pays reconnu comme l’un des centres mondiaux du tourisme religieux, et pourtant, il existe bon nombre de restrictions sur les pratiques religieuses. La situation s’est relativement améliorée avec l’arrivée de Chavkat Mirzioïev à la présidence en 2016. Celui-ci avait levé certaines interdictions, permettant par exemple de porter des vêtements religieux, tout en gardant d’autres restrictions.

Le reste de l’Asie centrale est sujet aux mêmes observations. La laïcité est une norme et une source de fierté pour ces pays, où elle est considérée comme une garantie de paix et de modernité. Néanmoins, les gouvernements contrôlent l’expression religieuse, en particulier celle des musulmans et des groupes religieux dits non traditionnels.

Ces pays sont qualifiés de « particulièrement préoccupants » par la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF) : la situation de la liberté religieuse au Tadjikistan a été qualifiée de « désastreuse » dans le rapport annuel de la Commission. Il est toujours répressible de diffuser des messages religieux au Kazakhstan. Le président du Kirghizstan a signé, en janvier dernier, une nouvelle loi visant les pratiques religieuses.

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En même temps, la population de ces pays est majoritairement musulmane. De surcroît, les projections vont jusqu’à prédire une population à 97,8 % musulmane en 2050 en Ouzbékistan. Pourquoi alors l’islam se trouve face à une politique si répressive ? La réponse se trouve dans les vestiges de la politique intérieure de l’Union soviétique.

Répression des activités religieuses : l’héritage de l’USSR ?

Durant les premières années du régime bolchévique, au début des années 1920, les responsables soviétiques adoptent une approche pragmatique en privilégiant la modernisation culturelle, la construction d’écoles et l’amélioration de la condition féminine, afin de consolider leur emprise sur l’Asie centrale.

Durant cette période, pour atteindre leurs objectifs, les bolchéviques coopérèrent avec les jadides, des musulmans œuvrant pour des réformes sociales et culturelles, par exemple pour l’amélioration de l’éducation. Ce faisant, ils crééent une nouvelle élite politique favorable à l’idéologie marxiste en recourant à la propagande et en nommant des fonctionnaires favorables à leurs politiques, lors de la division de l’Asie centrale en républiques distinctes selon des critères ethniques dans les années 1920 et 1930.

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En 1926, le gouvernement soviétique décide qu’il a suffisamment consolidé son contrôle sur l’Asie centrale et passe de la tolérance à la condamnation de l’islam. Le gouvernement ferme les écoles religieuses privées au profit d’écoles publiques. Entre 1927 et 1929, l’État mène une campagne de fermeture de mosquées en Asie centrale. Cette opération est peu documentée, mais les témoignages existants indiquent qu’elle fut souvent violente et mal contrôlée, menée par des fonctionnaires qui arrêtaient des imams et détruisaient des bâtiments, dénonçant la religion comme un ennemi du communisme.

La laïcité comme une leçon de l’histoire

Ce sont donc des lignes politiques de l’Union soviétique qui se manifestent aujourd’hui dans les décisions des jeunes gouvernements de l’Asie centrale. Une autre raison encore plus importante de ces politiques restrictives est l’histoire compliquée des manifestations de l’islam dans la région, menant souvent à des tensions, voire à des conflits.

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Au début des années 1990, de nombreux prosélytes musulmans étrangers ont afflué en Asie centrale pour tenter de saisir l’occasion de ramener ces pays au sein de la communauté des nations musulmanes, avec pour but de remettre leurs coreligionnaires sur le droit chemin. Les plus importants groupes de prosélytes venaient de Turquie et d’Arabie saoudite.

Conscients de l’importance de l’islam dans la formation d’une nouvelle identité collective, les gouvernements d’Asie centrale ont d’abord accueilli ces prosélytes étrangers avec enthousiasme. Cependant, ils ont rapidement commencé à se méfier de leurs objectifs et à s’inquiéter du risque de troubles civils provoqués par des idées religieuses radicales.

Il est clair que les événements survenus après l’indépendance ont contraint toutes les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale à repenser, dans une certaine mesure, leurs politiques religieuses. Cependant, chaque pays a géré l’émergence de l’extrémisme islamique et l’afflux d’idées en provenance du Moyen-Orient et du Pakistan de manières quelque peu différentes.

La répression comme moyen de prévention de la radicalisation

Le gouvernement ouzbek a pris la situation avec une fermeté particulière, poussé en partie par la tournure désastreuse des événements au Tadjikistan voisin, mais aussi par certains développements intérieurs. Au Tadjikistan, une guerre civile a éclaté dans les années 1990, dans laquelle le Parti de la Renaissance islamique du Tadjikistan (PRIT) a joué un rôle important. Le traité de paix qui a mis fin à la guerre prévoyait un accord de partage du pouvoir, conférant au PRIT une certaine influence au parlement. Ainsi, les partis politiques fondés sur la religion ont été autorisés au Tadjikistan, avant de subir une répression qui les a décimés dès 2014. Le Kazakhstan a lui aussi subi une série d’incidents terroristes en 2011 et 2016, obligeant le gouvernement à adopter de nouvelles mesures.

En 1992, à Namangan, dans la vallée de Ferghana, un groupe de jeunes islamistes radicaux a pris le contrôle du siège local de l’ancien parti communiste. Ils ont exhorté le président de l’époque, Islam Karimov, à se rendre à Namangan, ce qu’il a fait, et à écouter plusieurs revendications, notamment l’instauration d’un État islamique en Ouzbékistan et l’application de la charia comme seul système juridique. Le soulèvement islamiste s’est propagé dans toute la vallée, une région connue, même à l’époque soviétique, pour être un bastion islamique.

Les dirigeants du mouvement ont ouvertement défié le gouvernement, espérant la chute rapide du régime. Cependant, celui-ci a prévalu et a fini par s’en prendre durement aux militants islamistes, dont beaucoup ont jugé bon de quitter le pays pour rejoindre le Tadjikistan et l’Afghanistan. Cela a marqué le début d’une ère de contrôle gouvernemental strict des expressions religieuses.

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Aujourd’hui, la sympathie officielle que le gouvernement d’Ouzbékistan professe pour la religion, en tant que partie intégrante d’une tradition nationale, semble se limiter principalement au niveau intellectuel. La perspective d’une réémergence de la tariqa n’est probablement pas particulièrement attrayante pour le gouvernement ouzbek, car une telle structure pourrait se transformer en une base de pouvoir concurrente.

La menace d’une potentielle force de gouvernance

La menace posée par les groupes djihadistes est particulièrement importante pour les États laïcs d’Asie centrale, qui entretiennent une relation difficile avec la religion. Les dirigeants autoritaires de la région ont été confrontés à des acteurs qui souhaitaient donner plus de poids aux concepts islamiques de droit et d’ordre. En Ouzbékistan et au Tadjikistan, voisins immédiats de l’Afghanistan notamment, des groupes et mouvements islamistes ont déjà lutté pour un État islamique par le passé, tantôt par des moyens pacifiques, tantôt par la violence.

Dans ces deux pays, il a été possible de chasser les islamistes du pays ou de les neutraliser grâce à un contrôle et une répression stricts, les privant ainsi de terrain. Leurs partisans ont ensuite souvent rejoint des organisations islamistes à l’étranger – le premier Émirat islamique des talibans (1996-2001) ou l’État islamique (EI) en Syrie et en Irak (2013-2017). À titre d’exemple, le nombre de combattants originaires d’Asie centrale dans les rangs de l’EI est estimé à 5 000, dont la majorité en provenance du Tadjikistan et d’Ouzbékistan.

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Après avoir purgé le champ religieux de ses rivaux islamistes, les dirigeants autoritaires d’Ouzbékistan et du Tadjikistan ont acquis une autorité quasi incontestée sur l’interprétation des questions religieuses. Si ce processus a débuté en Ouzbékistan dès les années 1990 avec l’expulsion du Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO), au Tadjikistan, l’État n’a réussi à s’imposer dans le domaine religieux qu’en 2015, avec l’interdiction du PRIT. Depuis lors, au Tadjikistan également, un islam hanafite conservateur, compatible avec les principes laïcs et cultivé par les élites laïques et religieuses de l’Asie centrale post-soviétique, fait partie intégrante de la doctrine étatique officieuse.

La culture au service de la politique

Il apparaît donc dans l’intérêt des pays d’Asie centrale de maintenir la politique laïque actuelle, car cela contribue à renforcer une image de modernité et à prévenir la montée d’une opposition politique qui pourrait utiliser la religion comme argument principal de sa campagne, ce qui pourrait s’avérer efficace.

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Les dirigeants de la région tentent d’éviter des risques pour leurs gouvernements. Cependant, tout cela se fait au détriment de la population musulmane. Il est compréhensible que les gouvernements s’efforcent d’empêcher la radicalisation et l’accroissement de son influence sur les politiques intérieures et extérieures, mais pas au détriment du droit de millions de personnes à pratiquer leur foi.

Samad Alizade
Rédacteur pour Novastan

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