Accueil      Régulation religieuse et défis socio-économiques en Asie centrale : le cas du Kirghizstan

Régulation religieuse et défis socio-économiques en Asie centrale : le cas du Kirghizstan

Les autorités des Etats d'Asie centrale entreprennent des actions pour réglementer la sphère religieuse. Au Kirghizstan, les forces de l'ordre mènent des campagnes de sensibilisation contre le port du niqab dans les lieux publics. Les mesures visent à trouver un équilibre entre la liberté religieuse et la sécurité nationale.

Rédigé par :

La rédaction 

Niqab
Le Kirghizstan dissuade les femmes de porter la burqa et le niqab (illustration). Photo : Wikimedia Commons.

Les autorités des Etats d’Asie centrale entreprennent des actions pour réglementer la sphère religieuse. Au Kirghizstan, les forces de l’ordre mènent des campagnes de sensibilisation contre le port du niqab dans les lieux publics. Les mesures visent à trouver un équilibre entre la liberté religieuse et la sécurité nationale.

L’oblast de Djalal-Abad, dans le Sud du Kirghizstan, est la première région à mener des opérations contre le port du niqab. Au cours des patrouilles, les policiers ont informé les femmes de l’interdiction de porter des burqas ou des niqabs, c’est-à-dire des tissus qui couvrent le visage et ne laissent que des fentes pour les yeux, rapporte le média kirghiz 24.kg.

Selon le code kirghiz des infractions administratives, il est interdit de porter des vêtements ne permettant pas l’identification d’un citoyen, sous peine d’une amende de 20 000 soms (208 euros). Un représentant de l’Administration spirituelle des musulmans du Kirghizstan explique par ailleurs que le port de ces vêtements n’est pas obligatoire au regard de la charia.

En Ouzbékistan, une interdiction similaire est en vigueur depuis 2023. Les infractions sont sanctionnées par une amende de 250 à 380 dollars (226 à 344 euros). Dans la même optique, les hommes ouzbeks n’ont pas le droit de porter la barbe si celle-ci ne permet pas de les identifier, explique Current Time.

Au Tadjikistan, l’interdiction des vêtements religieux pour les femmes a été justifiée par leur « contradiction avec les valeurs nationales ». À cet égard, le président tadjik Emomali Rahmon a signé en juin dernier une loi « sur l’organisation des célébrations et des rites dans la République de Tadjikistan », qui interdit « l’importation et le port dans les lieux publics de vêtements étrangers à la culture nationale ».

Mise en avant des principes de liberté et de laïcité

En République kirghize, de telles mesures préventives ont été élaborées sous l’égide du Comité d’Etat pour la sécurité nationale. Ces mesures visent à faire appliquer la loi sur la liberté de religion et les associations religieuses, signée par le président Sadyr Japarov le 21 janvier dernier. Une commission d’État a mené des travaux sur l’élaboration de cette nouvelle loi, en collaboration avec des agences gouvernementales et un groupe d’experts, à l’issue des discussions avec des représentants de toutes les confessions.

Lire aussi sur Novastan : Kirghizstan : une nouvelle loi vise les pratiques religieuses

Selon le site du président kirghiz, le document réglemente l’interaction entre l’État et les organisations religieuses, le travail des établissements d’enseignement religieux et établit une liste d’actions interdites dans le cadre des activités religieuses. Il est désormais interdit aux associations et personnalités religieuses de s’engager dans des activités politiques.

Une intervention étatique visant à « préserver l’unité du peuple »

En décembre dernier, lors d’un discours devant le parlement, Azamat Yousoupov, chef de la Commission d’État pour les affaires religieuses, a souligné les problèmes existant dans la sphère religieuse, justifiant ainsi la nécessité d’une nouvelle loi, explique Cabar Asia.

Envie de participer à Novastan ? Nous sommes toujours à la recherche de personnes motivées pour nous aider à la rédaction, l’organisation d’événements ou pour notre association. Et si c’était toi ?

Parmi ces problèmes, il a notamment cité « l’importation inconsidérée de littérature religieuse, la construction chaotique d’installations religieuses, le processus d’éducation religieuse inadapté, les problèmes des citoyens se rendant à l’étranger pour recevoir une éducation religieuse, la distribution incontrôlée de littérature religieuse dans les rues et les lieux publics, les visites de porte-à-porte par des représentants de divers groupes religieux et l’imposition des valeurs de diverses religions. »

Des discussions sur le travail missionnaire

Ainsi, si l’interdiction du port du niqab a été accueillie avec compréhension, la question de l’organisation du travail missionnaire a, en revanche, suscité de nombreux débats. Le député Jalolidine Nourbaïev a abordé la question sous un angle plus profond en évoquant notamment le Daavat. Cette pratique visant à attirer une personne vers la foi islamique est populaire parmi de nombreux musulmans kirghiz.

Cabar Asia rapporte le discours du député : « Il y a 25 ans, les gens ne connaissaient pas la religion, de nombreux jeunes volaient, buvaient de l’alcool et se livraient à des actes de violence. C’est grâce au Daavat que la religion s’est répandue. » Selon lui, ce sont les personnes impliquées dans le Daavat qui aident à influencer les jeunes dans des régions reculées pour qu’ils cessent de commettre des actes illégaux ou moralement répréhensibles en se tournant vers la religion.

Dans son message détaillé sur Facebook, le président kirghiz a expliqué que les activités missionnaires n’étaient pas interdites en tant que telles, mais qu’elles n’étaient pas encore correctement réglementées. Il a souligné un problème particulier lié au Daavat, à savoir que certaines organisations utilisent le porte-à-porte comme couverture pour attirer les citoyens vers divers mouvements religieux, qui sont au nombre de 33 au Kirghizstan, dont certains sont interdits.

Des conditions socio-économiques préalables

Le vide religieux des pays d’Asie centrale, où ce phénomène social était quasiment absent pendant 70 ans, a été comblé par l’influence idéologique dynamique de l’Orient musulman. « Les États post-soviétiques n’étaient pas préparés à cette influence extérieure. Ils n’ont pas su comprendre les spécificités du monde musulman moderne, où géopolitique et idéologie sont devenues étroitement imbriquées », observe Parviz Moullodjanov, orientaliste et chercheur indépendant du Tadjikistan.

La situation socio-économique défavorable de la population facilite l’adhésion à des idéologies qui offrent espoir et sens. Selon un rapport de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le statut socio-économique précaire des individus est l’un des facteurs contribuant à leur radicalisation. Au Kirghizstan, plusieurs centaines de milliers de personnes sans activité professionnelle peinent à en trouver une.

Envie d'Asie centrale dans votre boîte mail ? Inscrivez-vous gratuitement à notre newsletter hebdomadaire en cliquant ici.

Trois décennies après l’obtention de l’indépendance, les autorités de la République kirghize ont acquis de bons résultats dans la lutte contre l’extrémisme violent grâce à des mesures de force, réussissant à contenir certaines menaces immédiates. Cependant, ces actions ne suffisent pas à résoudre entièrement le problème, car les racines de la radicalisation et l’extrémisme sont profondément ancrées dans les défis socio-économiques auxquels la population est confrontée.

Pour une approche plus complète, il est essentiel de créer des conditions socio-économiques protectrices qui offrent des opportunités de développement personnel et professionnel, tout en améliorant l’éducation pour promouvoir la pensée critique et la tolérance. Ces mesures permettraient de réduire considérablement les risques de mauvaise interprétation des textes religieux et, par conséquent, de diminuer la radicalisation.

Olga Vishnevskaia
Rédactrice pour Novastan

Relu par Léna Marin

Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout ! Si vous avez un peu de temps, nous aimerions avoir votre avis pour nous améliorer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anonymement à ce questionnaire ou nous envoyer un email à redaction@novastan.org. Merci beaucoup !

Commentaires

Votre commentaire pourra être soumis à modération.