Au Kirghizstan, une nouvelle loi sur la liberté de religion et des associations religieuses a vu le jour. Ceux qui s’y opposent déplorent ses mesures plutôt restrictives sur les activités des citoyens religieux. Parmi ses propositions controversées : l’interdiction du niqab.
Le Kirghizstan a décidé d’encadrer plus strictement les pratiques religieuses. Le projet de loi a été développé par le Conseil Suprême et publié sur le portail dédié aux discussions publiques le 30 août dernier, rapporte le média russe Sputnik. Ce portail donne l’opportunité aux citoyens de s’exprimer concernant les propositions et de s’y opposer ou de presenter des idées supplémentaires. La majorité des commentaires sur ce projet étant négatifs, seuls ceux qui proposaient l’ajout de notions ou de détails ont étés pris en compte.
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L’interdiction du niqab : point de discorde
La proposition la plus controversée reste l’interdiction du port du niqab, un voile intégral couvrant le corps et le visage à l’exception des yeux. Recommandé pour que la femme reste prude dans certaines traditions musulmanes, il empêche justement d’identifier la personne qui le porte. Son interdiction se justifie alors selon la loi par une mesure de sécurité.
Les internautes kirghiz ont réagi vivement dès le début des discussions autour du projet. Le point concernant le niqab a fait l’objet de désinformation sur les réseaux sociaux, avec des publications indiquant que le hijab serait aussi interdit, dans les lieux publics comme dans les écoles, rapporte Sputnik.
Pas d’interdiction sur le hijab
Pour apaiser les tensions et clarifier la situation, le conseiller du directeur de la Commission d’État pour les affaires religieuses, Kadyr Malikov, s’est exprimé le 4 septembre dernier.
« Les facteurs religieux et ethniques sont utilisés pour diviser la société. Ce n’est pas un secret. Malheureusement, il y en a qui tentent d’opposer la loi à la religion. Par exemple, lorsque le projet de loi a été proposé, de fausses informations ont été diffusées selon lesquelles le hijab serait interdit. Le document porte en réalité sur le port du niqab, et il existe des définitions et des instructions claires de la part des érudits religieux à ce sujet », a déclaré le théologien.
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« Dans certains cas, des individus et des groupes se sont cachés derrière des valeurs religieuses et ont utilisé les croyants pour arriver au pouvoir. Ils utilisent la religion comme ressource. La loi ne discrimine pas ceux qui croient en l’islam, au contraire, elle les protège autant que possible », conclut-il.
Un nombre important d’interdictions
Outre l’interdiction du niqab, la loi compte imposer une responsabilité juridique pour la distribution de littérature religieuse dans les lieux publics. Le document prévoit également des amendements à la loi sur les partis politiques pour interdire la création de partis sur une base religieuse, exiger le respect du principe de laïcité dans les activités de campagne des partis politiques et interdir leur financement par des personnes issues d’un État étranger ou par une organisation religieuse.
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En outre, des amendements sont envisagés pour les lois sur le statut et l’élection des députés des conseils locaux, et sur le statut du député du Conseil Suprême, concernant l’incompatibilité de la fonction publique avec une activité religieuse, ainsi que l’inadmissibilité de l’utilisation et de la diffusion d’informations à contenu religieux pendant la campagne électorale.
Une faille accidentelle ou délibérée ?
Ce dernier point a suscité une polémique pendant les discussions préliminaires du projet de loi. Un des utilisateurs a indiqué sur le portail de discussion publique que la juridiction kirghize stipule que la construction ou la participation à la construction de mosquées et d’autres édifices religieux est considérée comme un acte religieux. La nouvelle loi interdit aux personnes exerçant des activités religieuses de se présenter aux élections des organes du pays ainsi que de participer aux événements de campagne préélectorale.
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L’internaute s’interroge : « De nombreux hommes politiques de notre pays ont construit des mosquées, y compris Kamtchybek Kydyrchaïevitch [Tachiev] (chef du Comité pour la sécurité nationale, ndlr). Cela signifie qu’après l’adoption de cette loi, de nombreux hommes politiques, y compris Kamtchybek Kydyrchaïevitch, peuvent être exclus des élections en tant que candidats aux postes de député du Conseil Suprême de la République kirghize et de président de la République kirghize. Question : est-ce que Kamtchybek Kydyrchaïevitch est au courant ? C’est comme si c’était fait spécifiquement pour l’éliminer. »
Son commentaire a été marqué comme « partiellement pris en compte ». Cependant, ces points restent inchangés dans la dernière version du document.
« Il n’y a pas de pression sur la religion au Kirghizstan »
Vu l’ambiance tendue, Kanatbek Midin ouulou, directeur adjoint de la Commission d’État pour les affaires religieuses, a également pris la parole, rapporte le média kirghiz Kaktus. Lors d’une conférence de presse le 5 septembre dernier à Bichkek, il a rejeté toute attaque contre la religion.
Selon lui, les utilisateurs des réseaux sociaux discutent activement du projet et écrivent que les Kirghiz sont contre la religion, mais ce n’est pas vrai.
« Je vais vous donner un exemple. Notre président Sadyr Nourgojoïevitch [Japarov] participe à l’Aït namaz (prière musulmane, ndlr) avec le peuple, le général Kamtchybek Kydyrchaïevitch [Tachiev] construit des mosquées. Akylbek Ousenbekovitch [Japarov] (ancien Premier ministre, ndlr) avec eux. Mais, selon la Constitution, notre pays est laïc. Certains de nos citoyens ne comprennent pas le mot « laïc » : ils pensent que le pays est contre la religion, un pays athée. Non, nous comprenons que dans un tel pays, la liberté de conscience et de religion doit être respectée. Cette norme est inscrite dans la Constitution elle-même. Dans notre république, il n’y a aucune pression sur la religion », a noté le chef adjoint du département.
Le président s’explique
Le jour où il a signé la loi, Sadyr Japarov a expliqué ses raisons sur les réseaux sociaux. Il a souligné que des citoyens profondément attachés aux normes religieuses lui avaient demandé de rejeter la loi.
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Mais il a ajouté qu’il y avait aussi des citoyens ayant une vision laïque qui insistaient pour qu’elle soit signée et qu’elle entre en vigueur. « N’oublions pas qu’il y a dans notre pays autant de citoyens aux opinions laïques que de citoyens strictement religieux. Les premiers sont contre le fait que des inconnus circulent dans les immeubles et les maisons et frappent aux portes », a-t-il ajouté.
Et selon lui, « il n’y a qu’un seul point controversé dans la loi : c’est la question de la prédication en porte à porte. Nous n’avons pas encore correctement réglementé la question. Nous n’avons pas défini qui délivre l’autorisation pour une telle prédication de porte à porte, qui peut y participer, quelle formation est requise, qui a le droit de mener la da`wa (invitation à écouter le message de l’islam, ndlr), quels dépliants ou livres sont autorisés à être distribués et qui vérifiera ces documents. »
« Nous allons le soutenir«
Le président a souligné que le mouftiat, groupe de religieux sunnites qui interprètent la loi musulmane, et le conseil des oulémas – des théologiens musulmans – doivent établir des exigences et des règles claires sur qui peut participer aux sermons, quel organisme délivre les certificats, qui exerce le contrôle, et les proposer au chef de l’État.
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« Nous allons y réfléchir et le soutenir. Il n’y a aucun problème. Par exemple, je ne dirai jamais rien contre la religion. Je suis le fils d’un homme qui a été moldo (personne qui a étudié dans une école musulmane pré-révolutionnaire et qui sait lire et écrire en arabe, ndlr) et un ajy (personne qui a fait le pèlerinage à la Mecque, ndlr) profondément religieux toute sa vie. Je comprends très bien ce qu’est la religion. […] Je ne considère pas cette question comme un simple citoyen, mais comme le président du pays », a-t-il écrit.
Il a conclu en appelant à ne pas transformer les bonnes actions en un jeu politique.
Des réactions de la part de certains groupes
Avec une population à 90 % musulmane, soit environ 5,6 millions de personnes, le Kirghizstan compte une importante communauté dont le mécontentement pourrait conduire à des troubles. Un tel cas a déjà été enregistré le 19 décembre dernier : le Comité d’État pour la sécurité nationale a neutralisé le plus grand réseau structurel de l’organisation extrémiste religieuse Hizb ut-Tahrir.
22 membres actifs de l’organisation ont été arrêtés. Ils étaient impliqués dans la distribution de tracts parmi les organisations religieuses contre ce projet de loi. Les détenus ont été placés dans le centre de détention temporaire du Comité d’État pour la sécurité nationale.
Samad Alizade
Rédacteur pour Novastan
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