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Pourquoi Almaty et pas Alma-Ata ?

Au Kazakhstan, le russe est une langue qui a un statut officiel, même si elle est associée aux époques soviétique et tsariste. L'héritage de cette période est encore très important dans les esprits : ainsi, la question de la désignation des villes n'est pas seulement culturelle, mais bien politique.

Rédigé par :

lmorvan 

Traduit par : Thibaut Bacquaert

The Village

Almaty
Almaty de nuit. Photo: Wikimédia.

Au Kazakhstan, le russe est une langue qui a un statut officiel, même si elle est associée aux époques soviétique et tsariste. L’héritage de cette période est encore très important dans les esprits : ainsi, la question de la désignation des villes n’est pas seulement culturelle, mais bien politique.

Depuis 1991, le moment de l’indépendance, la présence très importante des russophones à l’échelle nationale a joué un rôle dans la politique du Kazakhstan. Pourtant, le fait d’affirmer une identité kazakhe est rapidement devenu important. C’est ce qui donne lieu au changement du nom de l’ancienne capitale, passé de Alma-Ata à Almaty en 1993. Pourtant, l’influence des russophones et de la langue russe n’a pas disparu.

Ces dernières années, les questions postcoloniales ont occupé de plus en plus d’importance au Kazakhstan. L’évolution du sentiment national implique une préférence pour la langue kazakhe et, en conséquence, pour l’emploi des toponymes kazakhs plutôt que de leurs versions russes ou soviétiques. Cependant, beaucoup de personnes au Kazakhstan – tout comme les médias russes – continuent d’employer le nom Alma-Ata. Cet article explique pourquoi l’usage de l’ancien toponyme est incorrect au regard de l’histoire coloniale.

Étymologie et sémantique

Le nom d’Almaty, dérivé de « almaly », évoque dans la langue kazakhe les pommiers. En effet, la ville a été baptisée d’après le lieu où elle a été construite, d’anciens champs de pommiers. Ce toponyme était d’ailleurs d’usage dans la littérature russe d’avant la révolution. Le nom Alma-Ata est une association de deux mots kazakhs – « pomme » et « grand-père » – qui ne respecte pas la grammaire kazakhe, ni aucune autre grammaire, et qui n’a pas réellement de sens en kazakh.

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Certaines personnes défendent l’emploi d’Alma-Ata en avançant qu’elle est une translittération du nom kazakh Almaty, tout comme Maskeou (Мәскеу) est la translittération kazakhe de Moscou. Cette comparaison n’a pas lieu d’être car Alma-Ata est une combinaison absurde de deux mots kazakhs, et non de deux mots russes.

L’analogue soviétique

Le nom Alma-Ata est apparu en 1921, selon un document signé M. Akhmetov, directeur du département de la langue, des archives et de la documentation de la ville d’Almaty. Il est écrit dans ce document que « le 5 février 1921, la ville de Vernyi a été renommée Alma-Ata, en accord avec le nom du lieu où elle a été fondée ». En réalité, le toponyme historique Almaty a été transformé en Alma-Ata. Le changement de nom de la ville a été officialisé par Ouraz Djandosovyi le 3 mars 1921.

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Adopté en Union soviétique, le nom Alma-Ata n’a pas plus lieu d’être employé aujourd’hui que Vernyi, le nom de la ville sous l’Empire russe, de la même façon que Leningrad n’est plus utilisé pour désigner la ville de Saint-Pétersbourg.

La constitution de 1993

En 1991, le Kazakhstan est devenu un État indépendant. La ville d’Alma-Ata a été officiellement renommée Almaty en accord avec la Constitution de la République du Kazakhstan du 28 février 1993. De ce point de vue, il n’y a aujourd’hui aucune raison d’employer son ancien nom.

L’Union soviétique n’existe plus et prolonger l’emploi de l’ancien nom revient à continuer d’associer le Kazakhstan à l’Union soviétique ainsi qu’à la Russie. Au Kazakhstan, une partie de la population est habituée à l’usage soviétique d’Alma-Ata et ne semble pas mesurer le poids que porte aujourd’hui ce terme obsolète.

Comme disent les Russes

De nombreux journalistes russophones au Kazakhstan emploient le nom Alma-Ata en se référant à l’arrêté de l’Académie russe ainsi qu’à la prescription du président de la Fédération de Russie du 17 août 1995 qui stipule que, dans la langue russe, il est recommandé d’utiliser le nom Alma-Ata. La plupart des médias et chaînes de télévision russes, mais aussi beaucoup de blogueurs et de personnalités publiques, emploient l’ancien toponyme. Par exemple, le youtubeur russe très suivi Ilya Varlamov a employé dans plusieurs de ses vidéos le nom Alma-Ata.

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Maria Rovinskaïa, membre de la commission orthographique de l’Académie russe, a répondu de manière condescendante à la question que se posent les Kazakhs quant à l’emploi du bon toponyme : « Nous avons ici sans doute un dilemme. Il y a, d’un côté, les toponymes inscrits dans les encyclopédies et sur les cartes. Et d’un autre côté, il y a un élan, un souhait de faire un pas vers nos amis à l’étranger qui veulent voir leurs toponymes tels qu’ils en ont l’habitude. Et plus encore si le pays utilise l’alphabet cyrillique. L’harmonie se trouve sans doute quelque part entre les deux, mais je ne suis pas vraiment encline à bousculer la norme de la langue russe ».

Ainsi, beaucoup de médias russes et de citoyens emploient la terminologie soviétique en arguant que ce terme est correct du point de vue de la grammaire russe, ce qui est erroné.

Aleksandra Akanaïeva
Journaliste pour The Village Kazakhstan

Traduit du russe par Thibaut Bacquaert

Édité par Lucas Morvan

Relu par Elise Medina

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