Accueil      Mer Caspienne : « le succès principal est le fait qu’ils se soient assis et aient produit quelque chose »

Mer Caspienne : « le succès principal est le fait qu’ils se soient assis et aient produit quelque chose »

La convention réglant le statut juridique de la mer Caspienne signé le 12 août dernier à Aktau par les cinq Etats la bordant, est surtout un "tremplin favorable à l’amélioration des relations régionales" estime Luca Anceschi dans une interview pour Novastan.  Novastan a demandé à Luca Anceschi, professeur à l'Université de Glasgow, spécialiste de l'Asie centrale, d'analyser la signature de l'accord sur le statut de la mer Caspienne. Selon lui, l'accord permet de stabiliser la région, mais ne permettra pas forcément la construction de pipelines, ni l'exploitation rapide des gisements d'hydrocarbures, du moins sur le court terme. La signature de la convention sur le statut de la mer Caspienne dimanche dernier à Aktau au Kazakhstan a été qualifié "d’historique" par les signataires, Noursoultan Nazarbaïev a même annoncé avoir doté la mer Caspienne d’une "constitution". Quelle est véritablement l’importance de ce nouveau texte qui s’ajoute à de nombreux autres régulant la mer Caspienne ? Si l’on étudie ce document en perspective, il s’agit d’un tremplin favorable à l’amélioration des relations régionales, surtout si l’on analyse les vingt-cinq dernières années où rien n’avait avancé autour de la Caspienne. Entre ces cinq États, il y a toujours eu des congrès, des séances de photos, des discussions et rien ne s'est jamais produit. Ainsi, avoir une convention est important juste parce qu'ils sont parvenus à signer ensemble le même texte. Toutefois, à mes yeux, il s'agit seulement d'un document initial. Il règle la division de la surface, mais pas vraiment la division du fond marin. Les 25 premiers milles sont des ZEE pour les ressources énergétiques et la pêche, mais nous ne savons pas ce qui adviendra des ressources dans la zone partagée au centre de la Caspienne. Pourquoi un nouveau texte régulant la mer Caspienne aujourd’hui ? Quelles sont les raisons, et les éléments du contexte international, qui ont poussé les cinq États caspiens à signer une nouvelle convention ? Parmi les cinq Etats de la Caspienne, il y a l’Iran, au cœur d’un ouragan international. On ne peut penser que cet accord régional est détaché de ce qu’il se passe au niveau international, dont les sanctions contre l’Iran. Par ailleurs, on peut estimer que ce document est un aboutissement tangible de la coopération non-démocratique. Les cinq Etats de la Caspienne sont des Etats non-démocratiques, même s’ils sont non-démocratiques de différentes manières : extrême comme le Turkménistan, idéologique comme l'Iran, ou la grande puissance comme la Russie. Depuis les cinq ou six dernières années, on observe que se développe un phénomène important de coopération entre Etats non-démocratiques, voire autoritaires, au travers de structures et d’institutions imitant les structures démocratiques. Dans cette partie de l’Asie, il s’agit d’une première tentative de « coopération autoritaire ». Un autre succès est l’éloignement de toute puissance étrangère dans les affaires de la mer Caspienne, ce que certains considèrent comme un grand succès pour la Russie. Je n’ai jamais pensé qu’une grande puissance pouvait avoir un intérêt significatif à s’impliquer dans la région. Pour moi, le succès principal est le fait qu'ils se soient assis et aient produit quelque chose. J'analyse cet accord parallèlement au dialogue russo-iranien autour de la Syrie et des sanctions internationales : cette convention fait partie d'un contexte plus large au Moyen-Orient. Qui est, selon vous, le grand gagnant de cette convention et pourquoi ? Je ne pense pas qu’il y ait de gagnant car je ne pense pas qu’il y ait de perdant. L’accord n’est sans doute pas parfait, particulièrement pour l’Iran, mais des solutions ont été trouvées. Dans ce cas, peut-on parler de perte ? Je ne crois pas. La convention permet désormais aux Etats de négocier bilatéralement des accords pour délimiter la mer. Est-on vraiment sur le point de voir se réaliser les projets de pipelines et d’exploitation des hydrocarbures repoussés depuis la chute de l’URSS par les désaccords entre les cinq Etats ? On entend dire que cet accord va ouvrir la voie à la coopération entre le Turkménistan et l’Azerbaïdjan : ce n’est pas le cas, cela ne changera rien. S'ils ne coopéraient pas auparavant, ce n'est pas à cause des obstacles qui ont été éliminés par cette convention. Ce document initial ne règle pas toutes les problématiques, mais il est important qu’il existe. L’accord trouvé sur les aspects environnementaux ne permettra-t-il pas à chaque pays de venir bloquer n’importe quel projet en prétextant de l’aspect non écologique de tel ou tel projet, continuant ainsi le statu quo existant ? Eh bien, cela dépend de qui paie pour le pipeline : les entreprises américaines ou chinoises sont souvent impliquées. De manière générale, je ne pense pas que la carte environnementale sera utilisée. Le seul pipeline significatif que vous pouvez construire est le pipeline Turkménistan-Azerbaïdjan ; en ce qui concerne les autres, il y a déjà un pipeline entre le Turkménistan et l'Iran, la Russie, la Chine et le Kazakhstan sont plus au nord et l'Azerbaïdjan est plutôt bien connecté. Pourquoi la Russie, aiderait-elle le Turkménistan à accéder au marché gazier européen, en permettant la construction du pipeline transcaspien ? Une fois le pipeline transcaspien construit, et étant donné les conditions actuelles de transit par le corridor du Sud et celles d’extractions sur le sol turkmène, le gaz turkmène serait-il compétitif face au gaz russe ou même au GNL sur le marché européen ? A vrai dire, je ne vois pas pourquoi ils construiraient ce pipeline, surtout quand il y en a d'autres. Ce pipeline ne desservirait que le Turkménistan, l’Azerbaïdjan n’en profiterait guère. Je pense que le Turkménistan a maintenant la possibilité de reprendre le commerce avec la Russie. Je ne crois pas que ce projet se produira, surtout s’ils parviennent à rouvrir les routes d’exportation avec la Russie. Mais encore une fois, seul l’avenir nous le dira. Propos recueillis par téléphone par Tiphaine Gaudin

Gisement pétrolier sur la mer Caspienne

La convention réglant le statut juridique de la mer Caspienne signé le 12 août dernier à Aktau par les cinq Etats la bordant, est surtout un "tremplin favorable à l’amélioration des relations régionales" estime Luca Anceschi dans une interview pour Novastan. 

Novastan a demandé à Luca Anceschi, professeur à l'Université de Glasgow, spécialiste de l'Asie centrale, d'analyser la signature de l'accord sur le statut de la mer Caspienne. Selon lui, l'accord permet de stabiliser la région, mais ne permettra pas forcément la construction de pipelines, ni l'exploitation rapide des gisements d'hydrocarbures, du moins sur le court terme.

La signature de la convention sur le statut de la mer Caspienne dimanche dernier à Aktau au Kazakhstan a été qualifié "d’historique" par les signataires, Noursoultan Nazarbaïev a même annoncé avoir doté la mer Caspienne d’une "constitution". Quelle est véritablement l’importance de ce nouveau texte qui s’ajoute à de nombreux autres régulant la mer Caspienne ?

Si l’on étudie ce document en perspective, il s’agit d’un tremplin favorable à l’amélioration des relations régionales, surtout si l’on analyse les vingt-cinq dernières années où rien . . .

Commentaires (2)

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Salla, 2018-08-17

Analyse très intéressante.
Juste, Dans « Les cinq Etats de la Caspienne sont des Etats non-démocratiques, même s’ils sont non-démocratiques de différentes manières : extrême comme la Turquie, idéologique comme l’Iran, ou la grande puissance comme la Russie. »
Il me semble qu’il y a une erreur ici, il s’agit du Turkménistan non de la Turquie n’est ce pas ?

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tgaudin, 2018-08-20

Bonjour Salla ! Bien que l’on pourrait discuter du modèle turc, il s’agissait ici effectivement du Turkménistan et non de la Turquie. Merci pour votre remarque !

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