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Kazakhstan : un documentaire s’interroge sur les prénoms féminins pour faire naître un garçon

Un film documentaire est en préparation au Kazakhstan à propos des femmes portant des prénoms avec le préfixe "oul". Ce préfixe, qui veut dire "garçon" en kazakh, a une signification : le souhait que le prochain enfant à voir le jour, soit un homme.

Documentaire Kyzbolsyn jeune fille
Un plan du film documentaire Kyzbolsyn.

Un film documentaire est en préparation au Kazakhstan à propos des femmes portant des prénoms avec le préfixe « oul ». Ce préfixe, qui veut dire « garçon » en kazakh, a une signification : le souhait que le prochain enfant à voir le jour, soit un homme.

Novastan reprend et traduit ici un article publié le 21 août 2020 par le média kazakh informburo.kz.

Au Kazakhstan, il existe un genre de prénoms féminins qui montre le désir d’avoir un garçon. Une croyance veut que si une fille est appelée par un de ces prénoms, l’enfant suivant sera un garçon. Il est estimé qu’un cinquième à un quart des Kazakhes sont nommées ainsi à leur naissance.

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Environ 300 prénoms sont concernés, les plus répandus étant Oulbolsyn, Oulkylsyn, Ouldana, Ouljalgas, Oulpan, Oulbala, Ouldaraï, Oultouar, Ouljan, Oultou, Oulmeken, Ouldarkhan, Bolgan, Toïgan ou encore Janyl. Un documentaire intitulé Kyzbolsyn (« qu’une fille naisse », en kazakh) est en préparation au Kazakhstan, pour s’intéresser aux conséquences d’un tel choix.

Vivre avec un nom qui signifie qu’à sa place était désiré un garçon

Pour en savoir plus, le média kazakh Informburo.kz a rencontré les créateurs du film et a tenté d’éclairer la relation ambiguë entre la société kazakhe et ses filles.

Katerina Souvorova, originaire d’Almaty, l’ancienne capitale kazakhe, est la réalisatrice du film. L’idée lui est venue quand elle a rencontré la grand-mère de son mari, qui s’appelle Oulbolsyn. Ce prénom a alors soulevé beaucoup de questions chez la réalisatrice.

Katerina Souvorova réalisatrice Kyzbolsyn documentaire
Katerina Souvorova réalise le documentaire Kyzbolsyn.

« Je me suis imaginé ce que c’est que de porter un prénom voulant dire « que ce soit un garçon ». Comment passer toute sa vie avec cette étiquette ? A chaque fois que ce prénom est prononcé, tu comprends que tu n’as été qu’un second choix », explique Katerina Souvorova.

« Mon but n’est pas d’aller à l’encontre de la tradition mais seulement de poser des questions : cette tradition est-elle légitime alors que nous ne sommes pas en temps de guerre ? Les garçons sont-ils toujours essentiels ou portons-nous un regard différent sur la chose? Le but de mon film est de comprendre comment on peut vivre avec un prénom qui dit que tu n’es pas une femme « , ajoute la réalisatrice. Pour Katerina Souvorova, porter un tel prénom ne signifie pas que la fille sera dépourvue de l’amour parental. Cela signifie que la famille veut un garçon.

« A l’école, on nous apprend à être égaux, et soudainement, les membres de notre propre famille regrettent que ne soit pas né un garçon« 

Chacune des protagonistes choisies par l’équipe du film, habitant à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières kazakhes, vit son prénom d’une façon unique. « Certaines désirent changer de prénom, d’autres sont heureuses de se sentir garante de l’arrivée futur d’un garçon », décrit Katerina Souvorova.

« Nous avons d’abord choisi les 20 personnes les plus intéressantes, avant de n’en garder qu’entre sept et dix. En ces temps de quarantaine, nous devons attendre un peu, alors nous travaillons sur le scénario et préparons le tournage », explique la réalisatrice, car le Kazakhstan n’a pas échappé au coronavirus. « Nous ne voulons pas seulement arriver et filmer une interview mais côtoyer nos héroïnes pendant six mois afin de montrer leur quotidien et les difficultés imputés à leur prénom », affirme Katerina Souvorova.

Jeune fille documentaire Kyzbolsyn
Plan du film Kyzbolsyn.

Les femmes ont réagi de diverses façons à la proposition d’apparition dans le film. Beaucoup se sont senties gênées par la présence de la caméra.

« A l’école, on nous apprend à être égaux, et soudainement, les membres de notre propre famille regrettent que ne soit pas né un garçon. Regarder ce film va nous offrir la possibilité de débattre de ces histoires, ces enjeux vont toucher une plus grande part de la population« , estime Katerina Souvorova. « Il se peut que, petit à petit, nous comprenions que la société ne sortira gagnante qu’en mettant les deux genres au même niveau », ajoute la réalisatrice.

Kyzbolsyn documentaire repas
Plan du film Kyzbolsyn.

La sortie du film est prévue pour 2021. Il s’agira d’un long-métrage de 70 à 90 minutes pour qu’il puisse être diffusé dans les salles de cinéma et présenté à des festivals.

Au Kazakhstan, 12 000 filles portent un prénom signifiant le souhait d’un garçon

Selon le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), les prénoms avec la préfixe « Oul » ont concerné 75 400 femmes entre 1905 et 2019. La décennie entre 2010 et 2019 a concentré 12 264 naissances, soit une baisse par rapport à la génération précédente. L’UNFPA est partenaire du documentaire.

Kyzbolsyn documentaire jeune fille
Plan du film Kyzbolsyn.

« J’ai rentré le prénom Oulbolsyn dans Facebook et VKontakte et j’ai trouvé beaucoup de profils, des grand-mères comme des filles d’une dizaine d’années. C’est cela que nous souhaitons montrer dans le film, que c’est une tradition encore bien présente et qui vit à travers des femmes de tout âge à travers tout le pays », continue Katerina Souvorova.

Le rapport de l’UNFPA a démontré que sur les dix dernières années, la naissance de ces filles a, pour la plupart des cas, été suivie par la naissance d’un garçon. Dans certains autres cas, la naissance suivante a été celle d’une fille.

Le tiers du budget du film provient du gouvernement suisse

Le tournage du film dépasse le budget initialement prévu, ce qui pousse l’équipe du film à chercher des sponsors. En effet, elle doit non seulement sillonner tout le Kazakhstan mais aussi se rendre jusqu’à Barcelone. « Nous voulons montrer à l’écran une fille vivant à l’étranger et comment elle parle de son prénom à ses amis issus d’une autre culture », raconte Katerina Souvorova.

Le film est soutenu par l’UNFPA, qui lui a octroyé une subvention venant de Suisse. « Julia Walesa, représentante de l’UNFPA au Kazakhstan a évoqué le film auprès de ses collègues. L’information est remontée jusqu’à Christa Felder, la consul suisse au Kazakhstan. Ainsi, le consulat suisse nous a financé le tiers du budget alloué au tournage », confesse la réalisatrice.

Jeunes filles Kyzbolsyn documentaire
Plan du film Kyzbolsyn.

La réalisatrice a sollicité un coup de pouce financier de la part du Centre d’Etat de soutien au cinéma national mais la demande reste encore sans réponse. « Pour moi, les films doivent être soutenus par des mécènes kazakhs. C’est très flatteur de voir le projet aidé au niveau international mais il me semble que les investisseurs kazakhs doivent aussi prendre part au film », souligne Katerina Souvorova.

« Dès leur tendre enfance, les parents font comprendre aux filles qu’elles n’ont pas la même valeur que les garçons »

La tradition mise en cause remonte au Moyen-Âge. A cette époque, les nomades étaient en conflit constant avec leurs voisins et avaient besoin de plus d’hommes que de femmes pour les envoyer à la guerre. La gente féminine était reléguée au second rang et perçue comme une ménagère et une pourvoyeuse d’enfants.

« Les hommes étaient effectivement indispensables à la survie de nos ancêtres. Mais au XXIème siècle, les aboutissements dans les domaines de la science, l’art ou le sport n’ont jamais été aussi grands. Des enfants talentueux naissent aussi bien chez les garçons que chez les filles. Désormais, il n’y a plus de priorité économique, sociale ou politique pour donner naissance à des garçons plus qu’à des filles », estime Khalida Ajigoulova, directrice du Centre de recherche sur les droits de l’Homme, l’inclusion et la société civile à l’Université technologique d’Eurasie.

La chercheuse a d’ailleurs relevé trois grands problèmes que rencontrent les filles concernées, le premier étant la discrimination sexuelle. « En nommant ainsi son enfant, la famille montre à la fille et à sa mère qu’un garçon était davantage attendu, qu’elles n’ont pas répondu aux attentes du père et du reste de la famille. Il n’y a pas d’équivalent masculin à ces prénoms », décrit Khalida Ajigoulova.

Deuxièmement, la petite fille peut être atteint psychologiquement. Au fur et à mesure qu’elle grandit, elle comprend la signification de son prénom. Couplé à un manque d’attention de la part des parents, elle peut développer un sentiment de culpabilité de ne pas être née garçon. Dans certains cas, cela peut laisser des séquelles psychologiques. Un grand nombre de ces filles peuvent compenser ce sentiment en se comportant comme un garçon pour montrer qu’elles ne valent pas moins qu’eux.

Khalida Ajigoulova, également militante des droits de l’Homme, considère que nommer de cette façon leur fille est une forme d’harcèlement venant des parents. « Il s’agit d’une agression passive. Dès l’enfance, les parents ne mettent pas au même rang une fille et un garçon. De mon point de vue, il s’agit d’un violation du droit de l’enfant au respect en tant que personne quel que soit son sexe », explique la chercheuse.

Le troisième problème est la pression psychologique que subit la mère de l’enfant. Nommer pareillement le nouveau-né implique que la mère doive enfanter jusqu’à ce qu’un garçon naisse, ce qui ne coïncide pas toujours avec sa volonté. « Cette situation peut, elle aussi, être considérée comme une contrainte psychologique. Certaines circonstances peuvent aboutir à des viols pour donner naissance à un garçon. C’est en ce point que les droits de l’Homme et les traditions se contredisent », décrit Khalida Ajigoulova.

Kyzbolsyn jeune fille documentaire
Plan du film Kyzbolsyn.

Pour y remédier, Khalida Ajigoulova propose d’adopter une réponse globale. Il ne faut pas blâmer les parents mais passer par des interventions dans les écoles traitant des sujets des droits de l’Homme, de l’égalité et de la liberté. Il n’y a toujours pas de formation juridique au Kazakhstan.

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« Il est nécessaire d’introduire des cours sur les droits de l’Homme dès la premier année de scolarité. A travers un discours adapté à leur âge, il s’agit de faire comprendre aux enfants qu’un traitement inégal des garçons et des filles n’est pas juste », estime Khalida Ajigoulova. « S’ils comprennent dès l’enfance qu’il n’y a pas de différence entre eux, en terme de droits, alors ils grandiront dans le respect d’autrui, personne ne se considérera supérieur ou inférieur » ajoute la chercheuse.

A ses yeux, la génération future doit comprendre que toutes les traditions ne sont pas bonnes à perpétuer. Il faut qu’elle porte un regard critique selon les nouvelles conjonctures sociales, économiques et politiques. Enfin, les enfants ne doivent pas être prisonniers des mécaniques discriminatoires.

Le suivi de l’avancement de Kyzbolsyn sur les réseaux est possible avec le hashtag #QyzBolsyn ou sur le compte du studio @TihiySvet et de la réalisatrice @katyathezoo.

Jadra Joulmoukhametova
Journaliste pour Informburo.kz

Traduit du russe par Daniel Le Botlan

Édité par Nazira Zhukabayeva

Relu par Nathalie Boué

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