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Alphabet latin : le chantier ne fait que commencer au Kazakhstan

Comme l'a affirmé le président kazakh Noursoultan Nazarbaïev, à partir de 2025, le kazakh sera écrit en lettres latines et non plus en cyrillique. Au milieu d'un débat houleux, l'historien kazakh Jar Zardykhan est convaincu qu'il est nécessaire de poursuivre ce projet gouvernemental, en évitant évidemment de répéter les nombreuses erreurs qui ont ponctué l’histoire de l’écriture.

Dans un journal daté de 1937, la langue kazakhe s’écrivait en alphabet latin.

Comme l'a affirmé le président kazakh Noursoultan Nazarbaïev, à partir de 2025, le kazakh sera écrit en lettres latines et non plus en cyrillique. Au milieu d'un débat houleux, l'historien kazakh Jar Zardykhan est convaincu qu'il est nécessaire de poursuivre ce projet gouvernemental, en évitant évidemment de répéter les nombreuses erreurs qui ont ponctué l’histoire de l’écriture.

Novastan reprend et traduit ici cette tribune publiée initialement par Vlast.

Il y a quelques années, lors d’une escale à Francfort avant de rentrer au Kazakhstan en plein été, je me suis rendu à Brême rendre visite le temps d’une journée à de vieux amis d’université, que je n’avais pas revus depuis mon doctorat. Comme vous pouvez vous en douter, ces amis sont des historiens et des linguistes, mais certains sont aussi spécialisés dans des disciplines plus transversales comme la théologie, la critique d’art, la numismatique et même le droit pénal du Moyen Âge. C’est d’ailleurs certainement pour cette raison qu’ils m’ont emmené dans leur célèbre « cave à vins brêmoise », qui se trouve être la plus ancienne d’Allemagne, vieille de 600 ans.

Il s’agit en réalité de la cave à demi-éclairée de l’hôtel de ville, aux murs et au plafond de briques nues et aux fenêtres grillagées qui n’offrent qu’une vue étroite sur la cathédrale. J’étais aussi déçu de boire du vin en Allemagne plutôt que de la bière que de rencontrer mes amis dans un lieu aussi miteux (qui avait tout du cauchemar d’un claustrophobe), mais je n’ai eu l’audace d’exprimer mon mécontentement que sur le dernier point. En retour, j’ai reçu une leçon relativement présomptueuse, mais non moins utile : « Jar, je ne sais pas ce que vous considérez comme beau et confortable au Kazakhstan mais cet édifice est le sommet de la perfection architecturale : il est solide, bien pensé et beau. En 600 ans, il n’a pas changé ».

Après un certain temps, j’ai commencé à me sentir à l’aise, détendu par le vin allemand et la conversation, qui s’orientait peu à peu vers le quotidien. Depuis quelques jours, l’Allemagne était apparemment secouée par l’interdiction récente de circoncire les mineurs, que l’une des cours régionales du pays avait assimilé à un crime. Les communautés musulmane et juive d’Allemagne avaient alors contesté cette décision ensemble, bien qu’elles ne soient pas d’ordinaire amies, ce qui est peu dire. Certains de mes amis étaient eux-mêmes contre la circoncision des mineurs, s’attirant ainsi une tempête de reproches : « Tu es circoncis Johann ? Ton fils est circoncis ? a brusquement demandé mon ami hambourgeois originaire des Balkans. - Non. - Vous avez l’intention de le faire circoncire ? - Bien sûr que non ! - Alors arrête avec tes conseils ! Réfléchis un peu et nous t’écouterons. »

J’avais déjà entendu un discours similaire au Kazakhstan lorsque j’avais pitoyablement tenté de dissuader mes amis orthodoxes de baigner leur bébé dans les féroces eaux hivernales du baptême. Ils ne m’avaient pas rappelé ma circoncision, mais l’évangile selon Saint Matthieu : « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous fermez au nez des hommes le royaume des cieux ! Vous-mêmes en effet n’entrez pas, et vous ne laissez pas entrer ceux qui sont pour entrer » (Évangile selon Saint Matthieu, chapitre 23 verset 12). Ou, s’ils avaient parlé plus franchement : « Va te faire voir, Jar » !

La marotte kazakhe du latin

Et voilà que le 11 septembre 2017, notre pays s’est réveillé avec un nouveau projet en tête, celui d’écrire le kazakh avec l’alphabet latin. Les querelles et les débats publics attendus ont alors commencé, accompagnés de bataillons d’amoureux de la langue kazakhe, qui, après avoir rêvassé et attendu pendant un quart de siècle, se sont soudain réveillés et décidés à apprendre cette langue miraculeuse dès ce lundi 11 septembre, comme ceux qui ne dormaient et mangeaient qu'en rêvant au caractère unique de l’écriture kazakhe. Je me suis alors rappelé cette conversation que j’avais eue dans la cave à vins, qui ne fut certes pas des plus agréables mais sans aucun doute des plus instructives. Je me suis aussi souvenu des baignades baptismales par cette rude nuit de janvier. J’avais passé la nuit à grommeler et ronchonner, cassant les pieds de mes amis, sans vraiment comprendre ce qu’ils faisaient ni la raison qui les poussait à le faire et encore moins pourquoi ils affichaient des visages radieux.

Lire aussi sur Novastan : Le kazakh, bientôt en lettres latines ?

Pour ne pas faire durer plus longtemps le suspense et ne pas trop m’appesantir, voici tout de suite mon avis sur la question : écrire le kazakh avec l’alphabet latin est une idée intéressante et admirable. Néanmoins, comme toute bonne idée, qu’il s’agisse de l’enseignement scolaire trilingue ou d’un fonds de pension par capitalisation unique, elle n’a de sens que dans sa réalisation. Or, s’il y a une chose que nous savons bien faire, c’est précisément tout gâcher. Combien de sang et de larmes ont été versés à cause de la carte de transport de la ville d’Almaty, « ONAY! », avant même qu’elle ne soit mise en circulation – d’ailleurs plus ou moins bien – et après tant de longues et déchirantes rectifications, modifications et altercations entre contrôleurs et passagers ? Un alphabet, dans le monde contemporain des technologies numériques comme à n’importe quelle autre époque, doit être pratique, beau et compréhensible. Pour tous. Cette . . .

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