DECRYPTAGE. Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), l’Asie centrale est l’une des rares régions du monde où sont observées à la fois des sécheresses plus importantes et des pluies en trop grande quantité. La température moyenne des pays de la région a d’ores et déjà franchi le seuil des 2 °C depuis 1990. Pour autant, l’heure n’est pas à la panique : les Centrasiatiques sont d’ores et déjà habitués à un climat rude, où l’écart de température peut parfois atteindre 80 °C en un an. En parallèle, les chercheurs du Giec se heurtent à un manque de données plus fines sur l’Asie centrale, ce qui rend une modélisation compliquée. Comment va évoluer le climat en Asie centrale ? Novastan tente d’y voir plus clair.Depuis quelques années, les évènements climatiques extrêmes en Asie centrale deviennent de plus en plus visibles : vagues de chaleur plus fréquentes, inondations, faibles précipitations etc… La région, comme l’ensemble du globe, n’est pas épargnée par ce qui s’apparente à un changement climatique accéléré.
Le 9 août dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a rendu public une première partie de son rapport décrivant l’état du climat dans le monde. Le rapport, de près de 4 000 pages, se concentre sur les changements physiques connus. A l’intérieur de ce rapport, l’Asie centrale se niche entre deux paragraphes, comme une illustration de sa position dans les flux d’informations actuels.
Des pluies extrêmes et de la sécheresse
“De vastes régions d’Asie centrale et orientale ont connu un assèchement au début des années 2000 en raison de températures plus chaudes, d’une humidité plus faible et d’une humidité du sol en baisse (Wei et Wang, 2013; Li et al., 2017d; Hessl et coll., 2018)”, décrivent ainsi les scientifiques du Giec. “Les glaciers de l’Himalaya alimentent dix des systèmes fluviaux les plus importants au monde et sont des sources d’eau critiques pour près de deux milliards de personnes (Wester et al., 2019). Cependant, ils font partie des » châteaux d’eau’ les plus vulnérables (Immerzeel et al., 2020) qui devraient subir des pertes de volume d’environ 30 à 100 % d’ici 2100, selon les scénarios d’émissions mondiales (Marzeion et al., 2020). Selon les scénarios d’émissions moyens, les glaciers de cette région devraient atteindre leur maximum de ruissellement entre 2020 et 2040 (Marzeion et al., 2020)”, poursuivent les experts. Lire aussi sur Novastan : Réchauffement climatique : l’Asie centrale touchée par des pluies et vents violentsPlus largement, l’Asie centrale est l’une des seules régions au monde qui reçoit plus de pluies extrêmes et connaît à la fois des épisodes de fortes chaleurs, voire de sécheresses, décrit le Giec. Pour Alicher Mirzabaïev, chercheur sur le changement climatique à l’université de Bonn, cette situation s’explique du fait que la région connaît une grande variété de climats. “La plupart des terres cultivées au Kazakhstan reçoivent de l’eau de pluie, alors que les autres pays irriguent leurs terres principalement avec de l’eau venant de glaciers”, explique le chercheur ouzbek, contacté par Novastan. Cette distinction entre l’origine de l’eau apparaît primordiale pour les années à venir.
Un changement d’origine de l’eau
“Le nord du Kazakhstan connaît en général une sécheresse tous les trois à quatre ans. Avec le changement climatique, cette zone peut expérimenter certaines années avec beaucoup plus de pluie mais d’autres années avec plus de sécheresses, plus grandes”, décrit Alicher Mirzabaïev. “Cette situation mène à plus de variabilité pour les récoltes de grain. Dans les régions montagneuses, surtout au Tadjikistan et au Kirghizstan, les épisodes de fortes pluies créeront plus de risques d’inondation entraînant un glissement de terrain”, explique le spécialiste ouzbek.“Le Tadjikistan et l’Ouzbékistan vont probablement recevoir plus de précipitations durant l’hiver mais moins en été. C’est problématique car il n’y a aucune culture en hiver, pas d’irrigation. L’eau va s’accumuler dans les réservoirs, qui sont heureusement nombreux. Cependant, les zones montagneuses vont avoir des difficultés avec davantage d’inondations”, estime le chercheur. Lire aussi sur Novastan : L’eau viendra-t-elle à manquer en 2021 en Asie centrale ?Cette évolution d’une eau venant de pluie dans des zones habituées à la recevoir par la fonte des neiges est ce qui est le plus problématique. Ce changement est également ce qui expliquerait que l’Asie centrale puisse avoir à la fois plus de pluie et plus de sécheresse, puisque l’eau reçue par la pluie pourrait ne pas être accumulée dans les zones montagneuses.Lire aussi sur Novastan : Le Tadjikistan prend des mesures pour lutter contre le changement climatiqueCependant, ce changement ne semble pas inquiéter outre mesure Alicher Mirzabaïev. “Des solutions existent, notamment par la construction de réservoirs ou dans une meilleure coordination entre pays en amont et en aval. Il n’y a pas de quoi paniquer à ce stade, ces solutions doivent simplement être explorées et mises en place à grande échelle”, estime le chercheur ouzbek.
Une température en forte hausse
Au-delà de l’eau, l’un des points les plus évocateurs du rapport concernant l’Asie centrale relève du changement de température de la région. “L’aridité dans l’est et l’ouest de l’Asie centrale devrait augmenter, surtout après le milieu du XXIème siècle avec des températures globales moyennes supérieures à 2 °C d’augmentation”, décrivent les chercheurs du Giec. Régulièrement, il est fait mention que la température en Asie centrale aurait déjà dépassé les 2 °C d’augmentation et qu’elle se réchaufferait deux fois plus vite qu’ailleurs dans le monde. Lire aussi sur Novastan : Comment le changement climatique affecte le Kirghizstan“Aujourd’hui, lorsque l’on parle de températures mondiales, il s’agit d’une moyenne de surface entre la température de la terre et de l’océan. Or la terre se réchauffe beaucoup plus vite que l’océan. La température sur la terre est déjà supérieure à 1,5 °C un peu partout dans le monde”, décrit Alicher Mirzabaïev. “Du fait que l’Asie centrale soit située dans la zone continentale, cette augmentation deux fois plus rapide n’est pas aussi dramatique que cela puisse paraître”, relativise le chercheur. Alicher Mirzabaïev rappelle également que la région connaît une variabilité de température très grande, comme notamment dans certaines régions du Kazakhstan où le thermomètre peut afficher -40 °C l’hiver et +40 °C l’été. “Le problème clé pour l’Asie centrale, ce sont les événements météorologiques extrêmes comme la canicule, les sécheresses ou la neige soudaine et la grêle au printemps”, estime Alicher Mirzabaïev. Sur ce point, l’augmentation de la variabilité des températures pourrait être le véritable danger, décrit le chercheur ouzbek.
Un manque de données précises en Asie centrale
Cependant et plus largement, les données précises pour réaliser des modélisations efficaces semblent manquer en Asie centrale. Si la région compte près de 400 stations météorologiques, un réseau dense, les données météos ne font pas tout lorsqu’il s’agit de prévoir un changement climatique. “Pour être plus précis, vous devez avoir des informations sur les évolutions des glaciers, les tempêtes de sable et de poussière… il y a tant de paramètres. En général, ce type d’information est meilleur en Asie centrale que dans les pays en développement, mais est bien plus pauvre que le niveau des pays développés”, décrit Alicher Mirzabaïev. Les informations collectées semblent également difficiles d’accès, ce qui peut empêcher la publication d’articles scientifiques sur le sujet, qui seront ensuite utilisés dans les rapports du Giec. “Les compétences en modélisation manquent. Nous devons avoir plus d’études amenant les modélisations mondiales au niveau local”, ajoute le chercheur ouzbek. Sur le point précis du Giec, Alicher Mirzabaïev est le seul chercheur centrasiatique à avoir été directement impliqué dans l’écriture de rapports ou son édition.Lire aussi sur Novastan : L’Ouzbékistan face au changement climatique, la nécessaire adaptationCette situation pourrait changer à l’avenir, avec l’intégration comme partenaire du Giec du Centre régional environnemental pour l’Asie centrale (Carec) en mai 2020. Ce centre basé à Almaty, au Kazakhstan, est l’un des meilleurs dans la région. Pour le 7ème rapport du Giec, prévu en 2028, Alicher Mirzabaïev veut croire qu’il ne sera pas le seul à apporter un point de vue plus local. En attendant, les deuxièmes et troisièmes parties du rapport du Giec, sur l’impact et l’adaptation au changement climatique ainsi que les façons de lutter contre le changement climatique devraient être publiées d’ici au printemps 2022. De quoi préciser une menace climatique de plus en plus concrète, et où la responsabilité humaine est affirmée sans équivoque.
Etienne Combier Rédacteur en chef de Novastan
Merci d'avoir lu cet article jusqu'au bout ! Si vous avez un peu de temps, nous aimerions avoir votre avis pour nous améliorer. Pour ce faire, vous pouvez répondre anonymement à ce questionnaire ou nous envoyer un email à redaction@novastan.org. Merci beaucoup !
Claude-Zheming ALBERTINI, 2021-09-14
Seuls les dragons vont tout droit; sinon que la route elle, prend des détours, dommage pour le long terme, comme pour l’aménagement du vallon, les engins étaient sur place.
Reply