Le directeur du Centre républicain pour la spiritualité et l’élévation d’Ouzbékistan, Otabek Khassanov, a annoncé la création d’un groupe d’experts chargé d’évaluer les productions artistiques selon des critères spirituels encore flous. Les blogueurs s’inquiètent et y voient un moyen de censurer l’industrie artistique.
Le 9 novembre dernier, sur sa page Telegram, Otabek Khassanov, directeur du Centre de spiritualité et d’élévation, a déclaré qu’un comité d’experts allait être créé. Celui-ci aura pour mission d’étudier la conformité des films, séries, dessins animés et clips par rapport à la politique de l’État, aux valeurs nationales et aux critères moraux.
Les contours de ce groupe d’experts restent encore flous. Selon la chaîne YouTube du média ouzbek Kun, ce groupe devrait être composé d’un conseil artistique ainsi que de représentants de la République, chargés d’émettre des « recommandations » aux médias distributeurs. Le groupe d’experts évaluera l’effet des contenus sur la jeunesse et s’assurera que les productions ne relèvent pas de « la propagande immorale ou obscène » commente le média ouzbek Hook. Cet examen sera mis en place sur les productions nationales et étrangères.
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La liberté d’expression et de création en question
Bien que l’accession au pouvoir de Chavkat Mirzioïev en 2016 ait fait souffler une relative brise de liberté sur la presse et l’industrie artistique, la situation reste très précaire. Dans le classement de la liberté de la presse 2024 de Reporters sans frontières, l’Ouzbékistan a perdu 11 places et occupe la 148ème place. En cause, les difficultés et les dangers auxquels s’exposent les blogueurs indépendants, ainsi que l’influence du gouvernement sur les médias.
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L’examen spirituel s’inscrit dans ce contexte de répression des blogueurs et des créateurs. Hook rapporte le cas de deux blogueurs condamnés à 15 jours de prison pour un clip vidéo, jugé « obscène et offensant » par le tribunal pénal du district de Younousabad à Tachkent. Les deux blogueurs, Kamal Yousoupov et Abror Goulyamov, s’y mettaient en scène déguisés en travailleuses du sexe autour d’une intrigue comique.
Le clip commençait par un avertissement : « Les auteurs n’exigent aucune action et ne prétendent rien. La vidéo a été créée uniquement dans le but de faire rire et ne contient pas de propagande LGBT. Nous sommes contre le tabac, l’alcool et les drogues. La vidéo peut contenir des propos offensants. Limite d’âge 18+. En continuant à regarder cette vidéo, vous êtes d’accord et prévenus. » Pourtant, les blogueurs ont été condamnés pour petit hooliganisme.
Un projet perçu comme de la censure
Ce projet a fait largement réagir les internautes sur les médias sociaux. Certains y voient un moyen de protéger les valeurs traditionnelles et les jeunes générations, tandis que d’autres y voient une censure claire, note le média ouzbek Nuz.
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Insider.uz analyse ce projet comme un levier de répressions laissant aux membres du groupe d’experts une totale partialité. Le groupe pourrait se venger personnellement, écarter les contenus en faveur de l’émancipation de la femme ou réinterpréter à sa guise les principes constitutionnels.
Pourtant, les articles 12 et 82 de la constitution de la République d’Ouzbékistan répondent précisément aux doutes relatifs à la censure et à l’idéologie d’Etat. « Dans la République d’Ouzbékistan, la vie publique doit se développer sur la base de la diversité des institutions politiques, des idéologies et des opinions. Aucune idéologie ne doit être érigée en idéologie d’État. […] La censure n’est pas autorisée. L’obstruction ou l’ingérence dans l’activité des médias entraîne la responsabilité conformément à la loi. »
Mathias Iochum
Rédacteur pour Novastan
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