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Deux médias ouzbeks condamnés après la publication d’articles religieux

Kun.uz et Azon.uz ont été condamnés pour avoir publié des contenus religieux litigieux sans l’approbation du comité gouvernemental compétent. Une affaire qui interroge l’état des libertés journalistiques et religieuses en Ouzbékistan.

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Les médias Kun.uz et Azon.uz ont été condamnés par la justice ouzbèke pour avoir publié des articles jugés "litigieux" (illustration).

Kun.uz et Azon.uz ont été condamnés pour avoir publié des contenus religieux litigieux sans l’approbation du comité gouvernemental compétent. Une affaire qui interroge l’état des libertés journalistiques et religieuses en Ouzbékistan.

Le 21 juin dernier, une cour de justice criminelle à Tachkent, la capitale ouzbèke, a puni d’une amende de près de 12 millions de soums (949,5 euros) le directeur du média ouzbek Kun.uz. Celui-ci, fondé en 2012 et comptant plus d’un million de visites quotidiennes, connaît depuis quelques années une forte croissance de son audience, décrit le média américain Eurasianet.

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Le 22 juin, Kun.uz rapporte lui-même les éléments de l’affaire. Une enquête a d’abord été menée par un service du ministère des Affaires intérieures, chargé de combattre le terrorisme et les différentes formes d’extrémisme. Celui-ci a relevé sept articles susceptibles d’enfreindre les lois du pays par leur contenu religieux. Les sujets sont divers, mais la majorité ont été publié par Kun.uz pendant la période du ramadan 2021 et font des commentaires sur les prescriptions religieuses à observer.

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Le comité des affaires religieuses, une institution relevant du cabinet des ministres, a été saisie sur cette affaire. Leurs conclusions ont souligné que dans « les présents articles il n’y a aucun appel à des changements constitutionnels, ni à la prise du pouvoir, ni à l’instauration d’un État islamique ou d’un Califat. Il n’y a donc aucune preuve d’extrémisme […] et de haine », rapporte kun.uz

Des articles potentiellement litigieux

Cependant, le comité pointe aussi le caractère problématique d’un article publié le 18 novembre 2020. Celui-ci, basé sur un article de la BBC, faisait part de l’introduction d’hijab dans certains uniformes de la police néo-zélandaise. Kun.uz y ajoutait une photo dudit uniforme et transcrivait à l’occasion les propos d’une jeune néo-zélandaise : « Je pense que les femmes musulmanes devraient aussi pouvoir davantage travailler pour la police. En Nouvelle-Zélande, c’est génial de voir que le hijab a été introduit comme part intégrante de l’uniforme. Je pense que les musulmanes qui voient cela seront davantage intéressées pour candidater à ces postes ». Le comité des affaire religieuses a jugé que la diffusion de tels propos était interdite car « elle pourrait entrainer le développement de discordes dans la population », rapporte Kun.uz.

En se basant sur ces conclusions, la cour a prononcé la culpabilité du média ouzbek. Le motif : une diffusion illégale de contenu religieux, sans l’approbation du comité compétent précise le média ouzbek Gazeta.uz.

Si le cas de Kun.uz a eu une certaine visibilité, le média religieux Azon.uz a aussi subi un jugement similaire le 21 juin. Gazeta.uz écrit que le comité des affaires religieuses n’a décelé aucune trace de tendances extrémistes dans les articles d’Azon.uz. Cependant, il a réitéré l’observation d’articles potentiellement litigieux. Cette fois, parce que ceux-ci pourraient détériorer les relations de l’Ouzbékistan avec d’autres pays, notamment l’Israël et la Russie. Les dirigeants du média religieux ont été punis d’amendes diverses par une cour pénale, allant jusqu’à 12 millions de soums (949,5 euros) pour le dirigeant Gairatkhodja Saidaliev.

Une presse inquiète

Les deux médias ont réagi de la même manière, en fermant le 22 juin leurs fils d’actualités en langue ouzbèke. Protestant contre ce qu’ils considèrent comme une nouvelle atteinte à la liberté d’expression dans leur pays, ils ont été rejoints par de nombreux activistes et représentants médiatiques rapporte Kun.uz

Le 23 juin, l’équipe de Kun.uz a publié en trois langues une déclaration. Celle-ci souligne que « depuis 2016, suivant un changement de gouvernement en Ouzbékistan, de sérieuses réformes ont été effectuées pour assurer la liberté d’expression dans le pays ». Cependant, le média ouzbek nuance ces progrès en rappelant que « il ne faut pas oublier que les lois relatives à la liberté d’expression dans le pays (dont celles qui ont conduit à la condamnation de Kun.uz) demeurent désuètes » et que « les interférences des agences gouvernementales sur l’activité des médias et les obstacles à la liberté d’expression persistent ». Contacté par Novastan, Kun.uz n’a pas répondu aux sollicitations.

De son côté, le rédacteur en chef d’Azon.uz témoigne de contradictions internes aux institutions. Il aurait déclaré, selon Gazeta.uz, que ses publications avaient reçu l’approbation oral du comité des affaires religieuses avant qu’un verdict différent soit prononcé lors du procès.

Lire aussi sur Novastan : Libertés religieuses : quelles avancées depuis le changement de pouvoir en Ouzbékistan?

L’ONG Reporter sans frontières dresse un constat similaire au sujet des libertés journalistiques en Ouzbékistan, pays qu’elle classe 158ème sur 180 dans son classement 2021 de la liberté de la presse. Son rapport annuel souligne les progrès réalisés depuis le décès du président Islam Karimov en 2016, mais rappelle qu’il n’est toujours pas possible de s’attaquer directement au pouvoir et à ses prérogatives.

Garder prise sur la religion

Parmi ces prérogatives, le contrôle étatique sur la religion occupe une place centrale. Si les Ouzbeks sont autorisés à manifester publiquement leur foi et si de nombreuses associations religieuses ont pu reprendre leur activité sous la présidence de Chavkat Mirzïoev, les initiatives et organisations religieuses dépendent uniquement du bon vouloir de l’État.

Ce monopole est assuré par un cadre légal que rappelle Gazeta.uz. Une résolution du conseil des ministres datée du 20 janvier 2014 et prolongeant un article du code administratif place ainsi toute fabrication, diffusion, possession et conservation de contenu religieux sous la condition d’approbation du comité des affaires religieuses.

De son côté, le gouvernement ne considère pas que la justice a agi démesurément. Gazeta.uz a interpellé le ministère de l’Intérieur sur l’affaire, qui a répondu que « toutes les actions ont été conduites dans le cadre de la loi » et que « les parties qui le souhaitent peuvent faire appel ».

Ainsi, l’élargissement des libertés religieuses en Ouzbékistan se fait timidement. En trame de fond : une instabilité toujours plus grande chez le voisin afghan qui inquiète Tachkent pour des raisons autant sociétales que sécuritaires.

Tiago da Cunha
Rédacteur pour Novastan

Relu par Charlotte Bonin

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