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Le Pigeon Sauvage, l’oeuvre pour laquelle un écrivain ouïghour est mort

En mars 2004, Nurmemet Yasin publie une nouvelle sur un pigeon captif qui préfère se suicider plutôt que d'abandonner sa liberté. Un récit qui déplaira aux autorités chinoises qui le condamnèrent à 10 années de prison pour "incitation au séparatisme". 

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Nurmemet Yasin, l'auteur ici dessiné, aurait perdu la vie en 2011 dans une prison chinoise.

En mars 2004, Nurmemet Yasin publie une nouvelle sur un pigeon captif qui préfère se suicider plutôt que d'abandonner sa liberté. Un récit qui déplaira aux autorités chinoises qui le condamnèrent à 10 années de prison pour "incitation au séparatisme". 

Novastan vous propose ici une brève description de l'auteur et la nouvelle en entier.

Né le 6 mars 1974, l’écrivain Nurmemet Yasin est l’auteur de plusieurs essais, nouvelles et recueils de poésie en langue ouïghoure. Certains de ses écrits sont étudiés dans les collèges de la province du Xinjiang, où vit la majorité ouïghoure.

Nurmemet Yasin a été condamné le 29 novembre 2004 à une peine de dix ans de prison pour avoir publié une nouvelle intitulée « Le pigeon sauvage » six mois plus tôt. Les autorités chinoises ont assimilé cette histoire à celle du père de Nurmemet Yasin qui s’était suicidé dans des conditions semblables. Ils l’ont apparentée à un réquisitoire déguisé contre les autorités chinoises de la région autonome du Xinjiang, aussi appelée région ouïghoure.

Le pigeon sauvage raconte à la première personne l’histoire d’un jeune pigeon pris au piège – le fils d’un roi pigeon – qui se suicide en captivité. Il préfère se tuer plutôt que de sacrifier sa liberté.

Publiée dans une revue de littérature ouïghoure, cette fable avait été diffusée très largement et recommandée pour un prix littéraire important. Nurmemet Yasin a été accusé « d’inciter les Ouïghours au sépa­ratisme », acte considéré par les autorités chinoises comme un crime.

Mort en prison

Lors de son procès à huis-clos, il n’aurait pas bénéficié de la présence d’un avocat. Amnesty International le considère comme un prisonnier d’opinion, uniquement détenu pour avoir usé de sa liberté d’expression. L’éditeur de la revue, Korach Huseyin, a lui aussi été condamné, à trois ans de prison, et aurait été libéré en 2008.

En 2005, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a pu lui rendre visite. Nurmemet Yasi a déclaré avoir subi des mauvais traitements et avoir été battu par ses codétenus pour avoir refusé de parler le mandarin. Le rapporteur a demandé aux autorités chinoises sa remise en liberté immédiate.

En 2011, Nurmemet Yasin serait décédé dans la prison de Shaya. Une information encore non confirmée à ce jour. Novastan vous propose une traduction du Pigeon sauvage, traduite depuis l’ouïghour en anglais par Luisetta Mudie et de l'anglais en français par Emmanuelle de Verdilhac et Antoinette Bernard.

Le Pigeon Sauvage

Rêve ou réalité

Me voici, volant dans le bleu profond du ciel; je ne sais si je rêve ou si je suis éveillé. Un vent vivifiant me traverse les ailes; mon esprit s'élève dans les hauteurs et mon corps acquiert force et puissance. Le matin rougeoie à l'infini et le soleil, magnifique, éclaire le monde. Quels beaux paysages !  Je monte encore plus haut et mon énergie se décuple.

Les champs de fraises disparaissent de ma vue et le monde devient soudain plus vaste, tel un tapis bleu profond étalé sous mes yeux. C'est un pays merveilleux que je n'ai encore jamais vu. J'aime passionnément cet endroit, le pays de ma naissance : tout est si beau sous mes ailes.

Maintenant j'aperçois des maisons et leurs alentours ainsi que des créatures vivantes qui bougent; ce sont sans doute les humains contre lesquels ma mère m'a mis en garde. Mais peut-être ma mère a-t-elle vieillie, car ils ne me semblent pas bien dangereux. Comment ces créatures qui rampent si lentement sur la terre pourraient-elles être plus puissantes que les oiseaux qui volent dans le ciel?

J'ai peut-être tort, mais elles n'ont pas vraiment l'air terrible. Ma mère m'a toujours dit que ce sont des créatures perfides qui nous attrapent et nous mettent en cage dès qu'elles nous voient.

Comment est-ce possible? Sans doute ne suis-je pas assez intelligent pour le comprendre. Soudain, je suis envahi par un désir fou de voir et de connaître ces humains, et je vole plus bas, planant au-dessus d'eux et distinguant tout plus clairement. Ma mère me dit toujours : « Les ruses du genre humain sont légion ; les hommes cachent leurs plans dans leur ventre; attention ! Que par négligence tu ne te retrouves pas en prison ! »

Tout à coup, je sais que je veux absolument voir les plans de ces humains. Pourquoi les cacheraient-ils dans leur ventre? Impossible à comprendre.

La descente

Je descends peu à peu, planant au-dessus des habitations. Tout ce qui est en dessous m'apparaît très clairement. Je peux voir les gens, leurs vaches, leurs moutons et leurs poules, et plein d'autres choses que je n'ai encore jamais vues. Un groupe de pigeons vole en tournoyant, d'autres sont perchés sur une branche.

J'atterris. Pour me joindre à leur conversation ? Ou pour me reposer ? Je ne m'en souviens pas car je suis alors en proie à une grande confusion de sentiments. Une chose est sûre : j'ai très envie d'en savoir plus sur eux.

« D'où viens-tu ? » me demande un pigeon. Il est plus vieux que les autres, mais je ne peux pas dire s'il est leur chef. De toute façon, je ne suis pas l'un d'eux et la position qu'il occupe m'importe peu. Aussi, je réponds simplement : « Je viens du champ de fraises ».

« J'ai entendu parler de cet endroit par mon grand-père; nos ancêtres viennent de là » répond-il. « Mais je pensais que c'était très loin d'ici et que cela prenait des mois pour aller jusque-là. Nous ne pouvons voler aussi loin. Peut-être t'es-tu perdu ? »

Est-il si vieux qu'il ne puisse parcourir cette courte distance en quelques jours comme je l'ai fait?  Peut-être est-il beaucoup plus âgé qu'il n'en a l'air; ou . . .

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