Peu de caravansérails en bon état subsistent encore en Asie centrale. Ces auberges fortifiées qui jalonnaient les routes commerciales servaient d’abri pour les hommes, les animaux et les marchandises qui circulaient sur les routes de la Soie. Au Turkménistan, le caravansérail de Dayahatyn offre encore de beaux restes malgré les ravages du temps.
Novastan reprend et traduit ici un article publié le 23 août 2019 par le média turkmène Orient.tm.
Il y a douze siècles, entre la rive gauche de l’Amou-Daria, dont le débit était bien supérieur à ce qu’il est aujourd’hui, et le désert du Karakoum, s’est érigé le caravansérail de Dayahatyn, qu’on peut encore contempler à 170 kilomètres au nord de Turkmenabat, capitale de province du Turkménistan.
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Liés à l’essor de l’islam et au commerce terrestre entre l’Orient et l’Occident, les caravansérails voient leur construction s’étaler entre le XIème siècle et le XIXème siècle. Ces bâtiments servaient d’abri pour les caravanes, en particulier le long des anciennes routes de la Soie. D’une diversité remarquable, ils constituent le témoignage de la diversité culturelle des régions traversées par les routes caravanières. Le caravansérail de Dayahatyn est considéré comme l’un des édifices les mieux conservés à ce jour.
D’une forteresse à une auberge
Le caravansérail a d’abord eu une fonction militaire. Il aurait été construit en 821-822 au centre de la forteresse de Tahiriya, elle-même bâtie sur ordre du gouverneur du Khorassan, Tâhir Ier, fondateur de la dynastie des Tahirides (820-872), ayant régné sur une partie de l’actuel Iran, Afghanistan et Turkménistan au IXème siècle.
À cette époque, le pouvoir musulman confiait la protection de ses frontières, en particulier en Asie centrale, à des guerriers qui souhaitaient se distinguer dans la lutte pour la foi musulmane. Ces hommes, appelés « ghazis », proches du fanatisme religieux, stationnaient dans de telles forteresses, baptisées « ribats », où ils étudiaient le Coran, s’entraînaient et priaient.
Avec l’avènement de l’empire des Seldjoukides (1037-1194), le bâtiment change de fonction et devient caravansérail. Ainsi, au cours des XIème et XIIème siècles, de grands travaux de modernisation du bâtiment central de l’ancien ribat sont effectués afin correspondre au style de l’époque.
Un établissement prestigieux
Il est dit qu’aucun caravansérail au Turkménistan n’égale le caravansérail de Dayahatyn en beauté. Dans les pays voisins, ils ne seraient que deux à le faire : le caravansérail de Rabat-i Malik, bâti par la dynastie des Karakhanides (840-1212) au XIème siècle sur l’actuelle route reliant Samarcande et Boukhara en Ouzbékistan, et le Rabat-i Charaf, situé dans les montagnes entre Sarakh et Nichapour en Iran et construit au XIIème siècle.
Ces trois monuments peuvent être comparés à des hôtels de luxe médiévaux. Ils se démarquent, par leur richesse, des caravansérails érigés dans les villes et les déserts le long de la route de la Soie pour permettre aux caravanes de se reposer en sécurité chaque jour, après 25 à 35 kilomètres de marche.
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La plupart d’entre eux ont disparu depuis longtemps, tombés en ruines ou recouverts de sable, et seuls les plus monumentaux s’élèvent encore aujourd’hui. Le caravansérail de Dayahatyn est le seul presque entièrement conservé. Il donne aux spécialistes la possibilité de restituer presque toutes les parties perdues du bâtiment et des éléments de décoration sans aucune spéculation, de manière scientifique, sur la base de l’original existant.
Le style caractéristique des caravansérails du Khorassan s’est formé à la fin du XIème siècle. La structure rectangulaire ou carrée, toujours symétrique, comprend une cour intérieure entourée de chambres pour les marchands, d’entrepôts et d’abris pour les bêtes de somme et le fourrage.
Si les caravansérails des villes étaient situés au cœur de celles-ci, non loin des bazars, ceux construits dans la steppe, isolés, devaient être défendus par de solides murailles et des tours puissantes. Parfois, ils étaient aménagés dans des ribats abandonnés, comme celui de Dayahatyn.
Celui-ci se présente en un carré de 53 mètres de côté. Il est bâti en briques crues, tandis que le revêtement des murs et la maçonnerie des arches, des voûtes et des dômes est fait de briques cuites de bonne qualité. À l’intérieur, on retrouve des moulures décoratives en plâtre. Les panneaux symétriques situés à l’entrée ne laissent aucun doute sur le style du monument.
L’utilisation magistrale d’une simple brique comme ornement de façade est typique de la période pré-mongole. La maçonnerie en relief, sculptée, ainsi que l’utilisation de paires de briques ciselées, ont rendu la surface expressive et sophistiquée.
Les maîtres des XIème et XIIème siècles ont également utilisé ces techniques pour réaliser de subtils panneaux épigraphiques. Des écritures bâtardes arabes « kufi » gravées dans la brique ornent l’entrée. Ces lignes diagonales, qui peuvent passer pour de simples motifs, forment six rectangles contenant les mots « Allah », « Mahomet », ainsi que les noms des successeurs du prophète : « Ali », « Omar », « Othmân » et « Abou Bakr ».
Le fait de mentionner les quatre califes témoigne du fait que Dayahatyn n’était pas un simple hôtel pour marchands, mais un caravansérail d’État destiné au repos des têtes couronnées et de leur cour lors des longs voyages.
Les chambres qui ont accueilli ces dignitaires se distinguent nettement des autres par une disposition inhabituelle et un style exceptionnellement inventif. La mosquée de Dayahatyn, pièce oblongue à droite du hall d’entrée, est divisée par deux arcs transversaux en trois parties. Au milieu de chacun d’eux se trouve une niche, ou mihrab, orientées avec précision vers la kaaba.
Le site de Dayahatyn s’est une nouvelle fois modernisé au XVème ou XVIème siècle lorsque l’entrée principale a pris son aspect actuel. Le grand portail – couronné d’une voûte – édifié à l’époque se distingue de la construction seldjoukide : dépourvu de tout ornement, il est bâti en briques plus grandes et la finition n’est pas aussi soignée.
L’importance du caravansérail a très vite périclité quand l’afflux des caravanes s’est tari et le monument s’est détérioré au fil des décennies. Les hauts murs n’abritaient plus que quelques régiments militaires venus y passer la nuit et de rares voyageurs soucieux de se protéger du soleil.
Redécouverte et mesures de protection
Dans les années 1920, l’archéologue Alexandre Alexandrovitch Marouchtchenko redécouvre Dayahatyn et jette les bases de l’archéologie au Turkménistan. En 1950, Anna Maksimovna Pribytkova, historienne de l’architecture venue de Moscou, réalise la première étude approfondie du caravansérail. « Le site se compose d’une grande variété de techniques de maçonnerie de voûtes, de dômes, de structures soudées, d’arcs, de puits de lumière, d’optimisation des travées, etc. », décrivait-elle alors.
Sa collègue, l’académicienne Galina Pougatchenkova, se rend à son tour sur place à la tête de l’expédition archéologique “Youtake”. Elle est l’auteure de l’ouvrage essentiel de l’histoire de l’architecture du Turkménistan, qui consacre de nombreuses pages à Dayahatyn, livrant notamment une explication détaillée de sa valeur exceptionnelle. « L’architecture du caravansérail de Dayahatyn est un modèle de style élaboré dans lequel les exigences de fonctionnalité, de conception et de perfection artistique se marient à la perfection », décrit l’historienne de l’art.
L’isolation du site ne l’a pas empêché de devenir une curiosité touristique. La réserve historico-culturelle du district de Kerki, qui gère ce monument, a multiplié les efforts pour conserver l’intégrité du bâtiment et renforcer sa structure.
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Au cours des siècles, les précipitations et le vent ont en effet affaibli des parties de la maçonnerie, en particulier les voûtes et les dômes, de sorte que des briques et certains pans de murs menacent de s’effondrer.
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Entre 2013 et 2019, afin d’éviter une nouvelle détérioration du monument, le Comité national de protection, d’étude et de restauration des monuments historiques et culturels du ministère de la Culture du Turkménistan a mis en œuvre les deux premières étapes de la restauration du caravansérail avec le soutien du Fonds américain des ambassadeurs pour la préservation de la culture (AFCP).
Les parties les plus détériorées des murs et des plafonds ainsi que la façade principale ont ainsi pu être préservées. La façade intérieure et l’entrée du bâtiment ont également pu être partiellement restaurées. La partie supérieure du portail d’entrée, qui avait été perdue, a été reconstruite tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Enfin, l’aspect général du monument a pu être modélisé en trois dimensions.
Les restaurateurs, sous la direction des architectes Derkar Dovletov et Maksatmourad Amanov, ont recréé les éléments perdus en se basant sur un examen scientifique de la structure. Après avoir étudié le monument, ils se sont penchés sur des documents d’archives, puis ont rédigé une analyse de l’état technique du caravansérail avant d’esquisser les croquis de restauration et d’entamer les travaux.
Le monument a été restauré avec des briques d’époque ou avec des matériaux neufs correspondant au format et à la qualité des briques originales. Les prochaines étapes de restauration ont été définies à court terme. Le caravansérail de Dayahatyn, l’un des joyaux de la Route de la Soie, est candidat à l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Rouslan Mouradov
Journaliste pour Orient.tm
Traduit du russe par Pierre-François Hubert
Édité par Louise Duplenne
Relu par Aline Cordier Simonneau
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