Elle était partie en séjour touristique avec son fils de 16 ans à Tachkent, et son voyage a viré au cauchemar. En juillet dernier, N., citoyenne belge née en 1982, a été victime d’un homme qu’elle pensait connaître, et sa plainte pour viol ne semble guère intéresser la justice ouzbèke.
N. et K.C. se sont rencontrés fin 2022, via un réseau social, Instagram, et ont depuis noué une relation. D’origine turque, comme N., K.C. travaille sur un marché de Tachkent, où il vend des foulards. Les mois passent, N. s’investit, a des questions et peu de réponses. Le 15 juillet, alors qu’elle séjourne à Tachkent, il l’invite à passer la soirée avec lui, et lui propose de regarder ensemble un match de football à la télévision. Un chauffeur de taxi vient chercher N. à son hôtel pour rejoindre K.C. qui, pour cette soirée, avait loué un logement dans le district de Younousabad, dans le Nord de la capitale ouzbèke.
Juillet est le mois le plus chaud à Tachkent et, ce soir-là, la torpeur estivale est telle que N. en saigne du nez. Et c’est quand elle souhaite sortir pour chercher un peu d’air que K.C., jusqu’ici affable, change de visage et décide de passer à l’action. Le match terminé, N. songeait à partir. Alors après avoir tourné la clé dans la serrure et mis la clé dans sa poche, afin de l’empêcher de quitter la pièce et la maison, il la bouscule. Elle tente bien de récupérer la clé, mais est chaque fois repoussée à coups de pieds. Après plus de trois heures de propos obscènes et de coups, N. est finalement contrainte à un rapport sexuel.
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En vous abonnant à Novastan, vous soutenez le seul média européen spécialisé sur l’Asie centrale. Nous sommes indépendants et pour le rester, nous avons besoin de votre aide !Le lendemain matin, N. peut enfin quitter le logement et retourner à son hôtel où, sous le choc et en proie à la confusion, elle s’enferme une dizaine de jours, seule en compagnie de son fils. K.C. multiplie les messages et les appels pour la dissuader de porter plainte, comme elle lui avait annoncé en avoir l’intention. Elle a des sentiments pour lui, il le sait et tente d’en jouer.
Un agent peu concerné
Craignant pour sa sécurité, N. décide de changer d’hôtel. La réceptionniste, qui comprend le turc, apprend l’histoire de N. et compose le numéro de la police qui, 30 minutes plus tard, envoie sur place un agent du district de Shayxontoxur, K.A., recueillir la déposition de N.. Mais celui-ci se montre peu sensible à son récit et ses remarques déconcertent les deux femmes. « Des gens comme vous sont violés ici tous les jours », « Que me voulez-vous ? » N. l’encombre, et il le lui fait comprendre.
Plusieurs jours après sa déposition, sans nouvelles de l’avancée de l’affaire, N. apprend que celle-ci est close et n’aura pas de suite. Parce qu’elle demande à en connaître les raisons, et parce qu’elle fait comprendre à l’enquêteur qu’elle n’en restera pas là, K.A. la menace de l’expulser d’Ouzbékistan. Et non, elle n’ira pas effectuer l’examen médico-légal qu’elle demande à réaliser, inutile d’insister.
Pourtant elle insiste, et le supérieur de K.A. finit par concéder que, finalement, elle peut déposer une demande de réouverture du dossier. Le temps passe et tout semble fait pour faire traîner volontairement les choses, afin de décourager la plaignante. Sa demande est finalement acceptée le 12 août, et l’examen médico-légal réalisé le 13 août. Mais près d’un mois s’est écoulé depuis l’agression, et les hématomes qu’elle présentait encore le jour de son appel au 102 ont largement disparu. Opportunément, ils ne figurent donc pas dans le rapport médical.
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De son côté, K.C. s’est bien rendu au poste de police après la déposition de N.. Il y a été aperçu papotant et riant avec plusieurs membres du commissariat. Au grand désespoir de N. et de son avocat, qui lui a été présenté par l’interprète à qui N. a donné procuration pour le suivi de son dossier. Maître Amatakhounov a exercé plus de 30 ans dans le domaine criminel et ne connaît que trop bien les tourments de la justice ouzbèke.
Le Consulat belge s’active
Deux fois l’avocat de N. a demandé à prendre connaissance des éléments du dossier, deux fois cette demande lui a été refusée, sans que ce refus ne soit motivé. L’enquêteur en charge du district de Younousabad, E.F.J., a simplement fait savoir à l’avocat que le dossier avait été transmis à sa hiérarchie, sans juger utile de lui remettre une copie.
Le rapport de l’enquêteur E.F.J., en date du 9 septembre, conclut à une absence de culpabilité de K.C. et rejette donc la possibilité d’un procès. N. a beau avoir présenté des photos montrant ses hématomes, photos prises le lendemain de son agression, et disposer de quatre témoins (les deux réceptionnistes, la manager ainsi que l’agent de sécurité du second hôtel), l’enquêteur n’en a cure.
Je fais un don à NovastanLe Consulat belge en Ouzbékistan, lui, n’est pas indifférent à l’histoire de N., et devait rencontrer le 6 novembre dernier le ministre ouzbek des Affaires étrangères afin d’évoquer le cas de sa ressortissante. N. est également soutenue par l’association Equality Now, qui dispose dans plusieurs pays d’un réseau d’avocats et d’activistes et travaille à la protection et la promotion des droits des femmes dans le monde. A Bruxelles, N. est soutenue psychologiquement et moralement par l’association SOS Viol.
Après un viol, l’enquête n’est pas automatique
Aujourd’hui, N. et son avocat réclament auprès du procureur de Younousabad un réexamen du dossier, et demandent un procès équitable. Ils dénoncent également l’attitude de l’agent qui a recueilli la déposition, interrogent la décision d’E.F.J. de clore le dossier, et affirment craindre une éventuelle « connivence » entre K.C. et K.A.
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Dans un rapport de novembre 2021, Equality Now relève que parmi les obstacles auxquels sont confrontées les femmes portant plainte pour viol en Ouzbékistan, une enquête des forces de l’ordre dès lors qu’il y a dépôt de plainte n’est pas automatique. En somme, le lancement d’une enquête est laissé au bon vouloir de l’agent qui recueille le dépôt de plainte.
Le Code pénal de la République d’Ouzbékistan définit ainsi le viol dans son article 118 : « Le viol, c’est-à-dire les rapports sexuels avec recours à la violence, la menace ou en profitant de l’état d’impuissance de la victime, est puni de cinq à huit ans de prison. »
Encaisser et se taire
Les violences dont sont victimes les femmes en Ouzbékistan sont traditionnellement considérées comme des « affaires de famille« , qui doivent être réglées en privé. Même lorsqu’ils sont filmés, les faits sont minimisés.
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Ainsi, lors d’un mariage en juin 2022, dans la province de Sourkhan-Daria, vexé d’avoir été battu par la jeune mariée à un jeu de rapidité – à qui déballe un bonbon le plus rapidement – le marié l’avait frappée à la tête à deux reprises, devant une assemblée passive. Les images de cette mariée frappée avaient fait le tour du monde via les réseaux sociaux. Ce qui avait conduit la police locale à finalement ouvrir une enquête, même si le média ouzbek Gazeta rapportait ensuite qu’aucune charge n’avait été retenue contre le marié, celui-ci s’étant « excusé » et la jeune mariée n’ayant pas porté plainte.
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Dire d’une femme qui se plaint de violences en Ouzbékistan que sa parole est peu considérée est un euphémisme. Et si l’Ouzbékistan a, en avril 2023, finalement inscrit la pénalisation des violences domestiques dans sa législation, les obstacles demeurent nombreux pour les victimes. Amnesty International avait relevé que dans le règlement des différends liés aux violences domestiques, la priorité restait la protection de la réputation et de la famille. Or, en Ouzbékistan, la parole d’une kelin (belle-fille) vaut moins que celle de son mari et de ses beaux-parents.
En Ouzbékistan, il est attendu des femmes, et des femmes seulement, vertu, bienséance et perfection, conformément au Ma’naviyat, ce code culturel selon lequel la femme doit supporter et se taire, quoi qu’elle vive. Comme la jeune kelin giflée le jour de son mariage.
Parce qu’elle est belge, et non ouzbèke, et parce qu’elle est soutenue par les autorités consulaires de son pays, il sera peut-être plus difficile pour les autorités judiciaires de Tachkent de convaincre N. de se taire.
Eléonore Darasse
Rédactrice pour Novastan
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Vincent Gélinas, 2024-11-14
Remplacer les lettres par des faux noms aurait rendu le texte plus lisible. Outre ce détail, c’est regrettable de constater que la police manque autant de professionnalisme.
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