Accueil      En visite au Karakalpakstan, Chavkat Mirzioïev affiche un air de « tout va mieux » avant le nouveau référendum

En visite au Karakalpakstan, Chavkat Mirzioïev affiche un air de « tout va mieux » avant le nouveau référendum

Un mois avant le référendum constitutionnel, le président ouzbek Chavkat Mirzioïev s’est rendu au Karakalpakstan pour une visite officielle, promettant des investissements et des transferts d’argent public à la République autonome. Un déplacement calculé, avant un vote crucial pour le président.

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Le mémorial de Moïnak devant la mer d'Aral asséchée au Karakalpakstan (illustration).

Un mois avant le référendum constitutionnel, le président ouzbek Chavkat Mirzioïev s’est rendu au Karakalpakstan pour une visite officielle, promettant des investissements et des transferts d’argent public à la République autonome. Un déplacement calculé, avant un vote crucial pour le président.

« Nous formons un seul pays, un seul peuple », a déclaré le président de l’Ouzbékistan, Chavkat Mirzioïev, en visite officielle au Karakalpakstan, le 31 mars dernier.

Après les manifestations durement réprimées à Noukous, capitale de la République autonome karakalpake dans l’Ouest de l’Ouzbékistan, l’enjeu politique est crucial pour le président ouzbek. Celui-ci appelle ses citoyens à aller voter de nouveau pour le référendum constitutionnel le 30 avril prochain.

Le vote aurait dû avoir lieu avant fin 2022. Mais un amendement de la réforme constitutionnelle, supprimant le statut d’autonomie de la République karakalpake ainsi que son droit de faire sécession du reste du pays, avait provoqué des manifestations. Le gouvernement ouzbek avait donné carte blanche aux forces de sécurité pour intervenir, faisant un total de 21 morts et plusieurs centaines de blessés. En parallèle, le vote pour le référendum avait été annulé et reporté au 30 avril 2023.

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La nouvelle réforme constitutionnelle ne prévoit plus d’enlever le statut d’autonomie de la République karakalpake, mais la mémoire de la violence des répressions reste une source de tensions entre les Karakalpaks et Tachkent. D’où une visite bien calculée par le président, selon l’activiste karakalpak Aqylbek Mouratbaï, actuellement basé à Almaty.

Une pluie d’investissements

Chavkat Mirzioïev n’est en effet pas venu les mains vides. Il s’est rendu dans une usine de production de la région de Kegueïly, une des six qui ont été relocalisées dans la région, et a annoncé le transfert de 500 millions de soums (40 000 euros) aux mahallas, des communautés de quartiers, selon l’agence de presse russe Fergana.

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Chavkat Mirzioïev a également rappelé les progrès économiques réalisés dans la région, rapporte le média ouzbek Kun.uz. Outre les nouvelles promesses, 670 milliards de soums (537 millions d’euros) et 340 millions de dollars américains (311 millions d’euros) ont été alloués en 2023. Les impôts sur le revenu et sur le chiffre d’affaires ainsi que les taxes foncières ont été réduits de deux fois. Il a également été noté que la production de produits chimiques, de matériaux de construction, d’aliments, de textiles et de produits pharmaceutiques a plus que doublé ces dernières années.

Une réforme cruciale pour Chavkat Mirzioïev

Depuis le 31 mars dernier, la campagne pour le référendum a commencé à Tachkent, comme dans le reste du pays, explique Fergana. Des groupes de députés font la promotion de la nécessité de la réforme constitutionnelle dans les mahallas et ventent le projet de « Nouvel Ouzbékistan » du président.

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Mais pour le président, le principal enjeu de ce référendum réside dans la possibilité de se maintenir au pouvoir durant au moins une nouvelle décennie. En effet, si la réforme constitutionnelle aboutit, le quinquennat actuel sera transformé en septennat renouvelable. Le nombre de mandats du président Chavkat Mirzioïev, qui est actuellement dans la deuxième année de son deuxième mandat débuté en 2021, devrait également être remis à zéro, rapporte Radio Ozodlik, la branche ouzbèke du média américain Radio Free Europe. Ce qui autoriserait théoriquement le président, au pouvoir depuis 2016, à garder son poste jusqu’en 2040, après la fin de son mandat actuel qui se terminera en 2026.

Pas un mot pour les victimes des manifestations

Le grand sujet absent de cette visite du président ouzbek au Karakalpakstan est celui des manifestations de juillet 2022. Alors que des procès sont toujours en cours à Boukhara pour juger les participants aux émeutes, le président n’a pas évoqué le sort des condamnés, tandis qu’aucun responsable de la mort des 21 personnes n’a encore été désigné lors des procès.

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Si le président affirme que « toutes les régions sont déterminées à contribuer au développement du Karakalpakstan », la réalité peut être perçue différemment. La République autonome, délaissée des fonds publics du pouvoir central et en retard économique à cause de l’assèchement de la mer d’Aral, est fortement défavorisée par rapports aux autres régions du pays. Les manifestations revêtaient un aspect socio-économique majeur, comme expliqué en détails par le média ouzbek The Hook.

Des problèmes toujours persistants dans la région

Et moins d’un an plus tard, le fond du problème reste le même. « Depuis l’arrivée au pouvoir du président, l’économie au Karakalpakstan n’a pas changé structurellement », explique l’activiste Aqylbek Mouratbaï. « Il n’y a toujours pas d’investissements sérieux et d’ouverture d’unités de production plus ou moins importantes au Karakalpakstan. Toute l’augmentation du bien-être de la population repose sur des subventions, y compris de la part des régions de l’Ouzbékistan », poursuit-il.

Un habitant du Karakalpakstan dispose d’environ 100 dollars (91,5 euros) par mois, ce qui est plusieurs fois inférieur à ce dont dispose un habitant de la province de Navoï ou de la capitale, ainsi qu’à la moyenne pour l’ensemble du pays, comme le démontre l’article de The Hook. La République du Karakalpakstan se distingue alors des autres régions car les deux tiers des sources de prestations sociales proviennent des budgets nationaux et locaux, le tiers restant provenant du fonds de pension extrabudgétaire.

C’est une « politique de patronnage », explique Aqylbek Mouratbaï, où « chaque district du Karakalpakstan se voit attribuer une région de l’Ouzbékistan. » En d’autres termes, les khokimiyats (administrations régionales) des régions d’Ouzbékistan mettent en œuvre divers projets économiques et sociaux sur le territoire du district supervisé au Karakalpakstan. Tout cela est présenté comme une assistance « fraternelle » aux « Karakalpaks nécessiteux », décrit Aqylbek Mouratbaï.

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Mais en réalité, cette politique de patronage est une manière de progressivement retirer aux autorités locales du Karakalpakstan leur fonctions administratives, et de les transférer aux régions de l’Ouzbékistan. Aqylbek Mouratbaï parle d’une « destruction de l’appareil d’État local. »

Aujourd’hui, le gouvernement ouzbek observe un redressement économique local grâce à l’exploitation d’un sous-sol riche en or, uranium, gaz et pétrole, mais sans que la population profite d’un véritable ruissellement économique dans la région. « Les Karakalpaks voient de grands projets pétroliers et gaziers au Karakalpakstan, dont les bénéfices vont entièrement à Tachkent. Même des emplois sont souvent donnés aux visiteurs venus d’autres régions ouzbèkes ou aux travailleurs étrangers. Naturellement, les Karakalpaks sont perturbés », conclut Aqylbek Mouratbaï.

Emma Collet
Rédactrice pour Novastan

Relu par Eva Costes

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