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Ata-Beyit, lieu où la mémoire des souffrances du peuple kirghiz s’entremêle

Au pied d’une chaîne de montagnes kirghize est bâti un étrange et massif mémorial, nommé Ata-Beyit. Situé à une vingtaine de kilomètres de la capitale Bichkek, il raconte plus d'un siècle d'histoire du Kirghizstan.

Ata Beyit Memorial Kirghizstan Repressions Sovietiques Coloniales
L'arche du monument sur la révolte de 1916 en Asie centrale à Ata-Beyit.

Au pied d’une chaîne de montagnes kirghize est bâti un étrange et massif mémorial, nommé Ata-Beyit. Situé à une vingtaine de kilomètres de la capitale Bichkek, il raconte plus d’un siècle d’histoire du Kirghizstan.

Au Kirghizstan, l’heure a sonné pour une justice historique. C’est en tout cas ce que souhaitent quatre députés et leur loi examinée au parlement kirghiz, dont le texte comprend la réhabilitation des victimes des répressions soviétiques entre 1918 et 1953, persécutées à cause de leurs convictions politiques et religieuses, ainsi que la déclassification de ces informations. Selon les historiens, entre 20 000 et 40 000 Kirghiz ont souffert de ces répressions sur cette période, mais en plus de 30 ans d’indépendance, un réel travail de mémoire nationale n’a toujours pas commencé.

Au Kirghizstan, un seul lieu de mémoire témoigne des répressions soviétiques dans le pays. Au bout d’une petite route peu fréquentée par les transports en commun se dresse un vaste mémorial, Ata-Beyit (« la tombe des pères » en kirghiz). Lieu méconnu des touristes, situé à une vingtaine de kilomètres au sud de la capitale Bichkek, dans le village martyre de Tchon-Tach, Ata Beyit raconte à lui seul différents événements traumatiques pour la mémoire kirghize, avec plusieurs monuments regroupés au même endroit.

Ata Beyit Memorial Kirghizstan Repressions Sovietiques Coloniales
L’entrée du mémorial d’Ata-Beyit.

La répression des « ennemis du peuple » à l’époque stalinienne

Lorsque le complexe mémorial a été ouvert en 2000, le but était de raconter l’histoire des purges staliniennes contre l’intelligentsia kirghize sur la période 1937-1940. Dans le village de Tchon-Tach, 137 personnes – ou 138 selon les sources – ont été fusillées par les services du Comissariat du peuple aux Affaires intérieures (NKVD) de la République socialiste, considérées comme « ennemis du peuple ». Ces cibles du régime n’étaient pas seulement des fonctionnaires ou des personnalités politiques : la purge s’est également attaquée à de simples agriculteurs des kolkhozes, des ouvriers ou des éleveurs. Une des victimes n’a toujours pas pu être identifiée.

Ata Beyit Memorial Kirghizstan Repressions Sovietiques Coloniales
Le monument aux victimes des répressions staliniennes.

En face du monument, un musée de pierre en forme de yourte raconte l’histoire de la République soviétique kirghize durant l’époque stalinienne. Des extraits de journaux soviétiques et des restes de vêtements des victimes enterrées décrivent cette histoire tragique et encore parfois méconnue du grand public.

Ata Beyit Memorial Kirghizstan Repressions Sovietiques Coloniales
Le musée d’Ata-Beyit.
Ata Beyit Memorial Kirghizstan Repressions Sovietiques Coloniales
Le musée d’Ata-Beyit documente les répressions staliniennes.

A l’intérieur du musée, les crimes du stalinisme sont documentés à l’aide de journaux et d’objets historiques.

Un secret familial révélé 50 ans plus tard

Les corps des victimes ont été découverts en 1991, dans de curieuses circonstances. Le village de Tchon-Tach était jusque-là un camp de vacances et une station de ski l’hiver. L’histoire de ces réprimés était ignorée de tous, sauf d’une personne : Boubouïra Kydyralieva, qui habitait dans le village depuis son enfance.

Cette dernière connaissait la vérité depuis depuis 1973, par une information qu’elle tenait de son père, Abykan Kydyraliev, qui travaillait comme agent de sécurité à la datcha du NKVD, raconte Radio Azattyk, la branche kirghize du média américain Radio Free Europe. Mais, sous le régime soviétique, Boubouïra Kydyralieva n’osait pas en parler.

Lire aussi sur Novastan : « Forcés de fuir, les Kirghiz mouraient sous les balles des soldats de l’armée tsariste et les conditions climatiques extrêmes »

C’est en 1989, pandant la perestroïka, que la parole se libère et que des initiatives sont mises en place pour réhabiliter les victimes des purges staliniennes. Boubouïra Kydyralieva accorde des interviews à plusieurs médias, et des dirigeants du NKVD kirghiz ainsi que des archéologues, fouillent le village, découvrant l’existence du massacre.

Tchinguiz Aïtmatov, l’écrivain national à l’histoire familiale bouleversée par la répression

Parmi les personnes injustement fusillées comme ennemis du peuple se trouve Torokoul Aïtmatov. Haut fonctionnaire, il a été exécuté en 1938. En face de sa tombe repose son fils, qui n’est autre que l’écrivain national Tchinguiz Aïtmatov. Un mausolée a été installé en 2008, l’année de sa mort, dans la vallée de la région de Tchouï.

Ata Beyit Memorial Kirghizstan Aïtmatov
Le mausolée de Tchinguiz Aïtmatov.

Après avoir exercé les professions d’agronome et de journaliste, Tchinguiz Aïtmatov est devenu conseiller de Mikhaïl Gorbatchev en 1985 puis ambassadeur de l’URSS et de la Russie au Luxembourg jusqu’en 1994. Partisan de la perestroïka, il est aussi pour une politique mémorielle qui reconnaît les crimes du passé.

La mémoire des manifestants de la révolution kirghize de 2010

En 2010, un nouveau monument s’ajoute à Ata-Beyit, à la mémoire des morts de la révolution populaire d’avril, rapporte le portail d’information kirghiz 24.kg.

Ata Beyit Memorial Kirghizstan Tombes
Les tombes des manifestants morts pendant la révolution de 2010.

Le 7 avril 2010, lors du changement de pouvoir au Kirghizstan, des manifestations se produisent dans un contexte politique déjà agité et conduisent à la chute du président Kourmanbek Bakiev. Le gouvernement provisoire prend les pleins pouvoirs et Roza Otounbaïeva devient présidente par intérim. Plus de 80 personnes ont été tuées et un millier blessées.

Ourkoun, la révolte écrasée de 1916

En 2016, Ata-Beyit accueille un tout nouveau lieu de recueillement, impressionnant de hauteur. Trois longues colonnes s’élèvent en face des montagnes et se rejoignent en leur sommet autour du tunduk, clé de voûte de la yourte kirghize traditionnelle. A son pied, une structure formant la date 1916 évoque la terrible révolte qui a eu lieu dans toute l’Asie centrale, appelée Turkestan à l’époque, contre les forces impériales russes. Elle est connue sous le nom d’Ourkoun (« exode » en kirghiz).

Ata Beyit Memorial Kirghizstan Repressions Russes Coloniales
Le monument aux répressions tsaristes de 1916.

A la suite de la conscription des musulmans dans l’armée russe pour servir au front pendant la Première Guerre mondiale, la révolte a conduit à l’exode de centaines de milliers de Kirghiz et de Kazakhs vers la Chine. La répression de la révolte par l’armée impériale russe a fait environ 100 000 à 270 000 morts, directement ou indirectement, principalement des Kirghiz et des Kazakhs, mais aussi des Tadjiks, des Turkmènes et des Ouzbeks.

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En visite à Bichkek, le président ouzbek Chavkat Mirzioïev est venu rendre hommage aux victimes au pied du monument le 27 janvier dernier, et a déposé une gerbe de fleurs.

Emma Collet
Rédactrice pour Novastan

Relu par Emma Jerome

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