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Jaslyk, l’une des prisons les plus violentes d’Ouzbékistan

Jaslyk, l'une des prisons les plus violentes d'Ouzbékistan, a attiré de nombreuses fois l'attention des défenseurs des droits de l'Homme. La sinistre réputation de cette prison a dépassé les frontières ouzbèkes, choquant l'opinion internationale à cause des dures conditions de détention et de l'usage très fréquent de la torture. La décision de fermer la prison n'a pourtant pas été accompagnée d'une réhabilitation des prisonniers.

Rédigé par :

lvanier Emma Jerome 

Traduit par : Thibaut Bacquaert

Sarpa Media

Ouzbékistan Karakapakstan Jaslyk Youssouf Rouzimourodov Timour Karpov
Le journaliste Youssouf Rouzimourodov, libéré après 19 ans de prison à Jaslyk. Photo: Timour Karpov/Masa Media.

Jaslyk, l’une des prisons les plus violentes d’Ouzbékistan, a attiré de nombreuses fois l’attention des défenseurs des droits de l’Homme. La sinistre réputation de cette prison a dépassé les frontières ouzbèkes, choquant l’opinion internationale à cause des dures conditions de détention et de l’usage très fréquent de la torture. La décision de fermer la prison n’a pourtant pas été accompagnée d’une réhabilitation des prisonniers.

La prison Jaslyk (jeunesse en karakalpak) était un centre de détention pour les extrémistes religieux et opposants du premier président ouzbek, Islam Karimov. Le pénitencier se situe dans l’ouest du Karakalpakstan, au milieu d’une zone désertique. La ville la plus proche, Kounguirot, est à 180 kilomètres. Une unique voie de chemin de fer la relie à la prison.

Ce centre de détention était l’un des endroits les plus fermés d’Ouzbékistan. L’horreur de cette prison a attiré l’attention de l’Organisation des Nations unies (ONU), ainsi que celle de nombreuses ONG qui défendent les droits de l’Homme. Une fois la prison officiellement fermée en 2019 par le président Chavkat Mirzioïev, les prisonniers n’ont pas pour autant été réhabilités et aucune compensation financière n’est prévue par le gouvernement. Certaines ONG font de cette question de réhabilitation une priorité.

Jaslyk, le supplice du chaud et du froid

La prison Jaslyk a été aménagée en 1999 dans le bâtiment d’une ancienne usine chimique soviétique, non loin d’un village du même nom. Au milieu du désert, où les températures atteignent les 50 degrés en été et tombent sous les -30 degrés en hiver, le nom de Jaslyk est devenu synonyme de supplice.

Les premiers détenus y sont arrivés en 1999, condamnés pour avoir participé aux actions du Mouvement islamique d’Ouzbékistan et d’autres groupuscules extrémistes. Ce sont ensuite des journalistes, des activistes et des défenseurs des droits de l’Homme qui les ont rejoints. Les organisations internationales qualifient ces détenus de « prisonniers d’opinion » et de « victimes de purges politiques ».

En 2002, les activistes du pays ont relevé les premiers cas de décès parmi les prisonniers de Jaslyk. Selon le rapport des médecins, les détenus Khousnitdine Alimov et Mouzaffar Avazov avaient été brûlés à l’eau bouillante. Suite à cet évènement, la sinistre réputation de la prison a dépassé les frontières ouzbèkes et a motivé la visite du rapporteur de l’ONU Theo van Boven. Ce dernier regrette cependant le manque de coopération de la part de l’administration pénitentiaire ouzbèke, qui ne l’a pas laissé examiner correctement les conditions de détention réelles.

Les années suivantes, les ONG n’ont cessé de réclamer la fermeture de la prison, où les dures conditions de détention et la torture n’étaient plus un secret. La prison n’a cependant pas été fermée avant la mort du président Islam Karimov.

Malgré la fermeture de la prison, les détenus ne sont pas réhabilités

À la mort du premier président d’Ouzbékistan en 2016, Chavkat Mirzioïev arrive au pouvoir et instaure une forme de politique de dégel, donnant plus de liberté aux journalistes et aux activistes. La fermeture de Jaslyk devient possible.

Lire aussi sur Novastan : Karakalpakstan : rien de nouveau sous le « Nouvel Ouzbékistan » de Chavkat Mirzioïev

En 2019, le président signe finalement un arrêté officialisant la fermeture de la prison. Selon le ministre de l’Intérieur, 395 prisonniers y étaient encore détenus. Malgré cette décision, les anciens détenus de Jaslyk sont restés « ennemis d’État ». Aucun parmi eux n’a été acquitté ou réhabilité, portant encore la condamnation pour haute trahison, insulte à l’égard du peuple ouzbek, tentative de coup d’État ou extrémisme religieux.

La réhabilitation des prisonniers politiques devrait comprendre plusieurs volets : la dénonciation des condamnations abusives, la levée de ces condamnations ainsi qu’un soutien médical et psychologique.

La confiance contrariée par les violences systémiques

Selon la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), la compensation matérielle des préjudices est « la clef de voûte du retour à la confiance générale après la répression systémique », un des éléments les plus importants de la réhabilitation des prisonniers politiques. Cependant, l’État ouzbek n’envisage pour le moment aucune réhabilitation judiciaire et n’a décidé d’aucune compensation matérielle.

Selon l’activiste Agzam Tourgounov, qui a passé 15 ans à Jaslyk, la principale raison pour laquelle le pouvoir ne veut pas la réhabilitation des prisonniers politiques est qu’il ne veut pas reconnaître ses propres erreurs. « Nous réhabiliter impliquerait l’emprisonnement de dizaines de personnes : des juges, des procureurs et des enquêteurs. C’est cela qu’ils redoutent. À ma libération en 2017, le gardien de prison m’a supplié de ne jamais porter plainte contre eux et de ne jamais reprendre l’activisme », raconte l’ancien détenu.

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Le photographe documentariste Timour Karpov a présenté une exposition à la galerie 139 Documentary Center, à Tachkent, dédiée à la réhabilitation des victimes de la répression politique. Selon lui, le point de vue du pouvoir ouzbek sur les prisonniers politiques n’a pas changé.

« Le débat n’a pas beaucoup évolué. Certains prisonniers politiques ont été amnistiés pour faire retomber la pression qui était très forte. En 2017, il n’y a eu qu’un changement de paradigme et de nouveaux prisonniers politiques sont apparus. C’est aussi pour cette raison que le débat n’évolue pas. Quant à la question économique, je ne pense pas que c’est ce qui freine le gouvernement. S’il avait voulu le faire, il l’aurait déjà fait », raconte-t-il.

Quelle devrait être la réhabilitation ?

La réhabilitation des victimes de la répression politique devrait être une priorité pour le gouvernement ouzbek. Ceux qui ont été jugés à tort méritent une amnistie inconditionnelle.

La FIDH a publié une série de recommandations destinées au gouvernement ouzbek qui pourrait constituer une politique de réhabilitation des prisonniers politiques. Dans un premier temps, il faut identifier les personnes ayant droit à une compensation pour préjudices. Ensuite, il est nécessaire d’évaluer les besoins des anciens prisonniers. Enfin, il faut adopter un programme d’ampleur d’amnistie ou de rectification de peine.

La rédaction de Sarpa Media

Traduit du russe par Thibaut Bacquaert

Édité par Léane Vanier

Relu par Emma Jerome

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