Un article de notre partenaire, le magazine EdgeKz
Par Michelle Witte. Traduction : Maxime Chaury
Gulshara Abdykalykova, Aigul Solovyova et Svetlana Romanovskaya, trois femmes politiques importantes du Kazakhstan, ont accepté de répondre à quelques questions.
La tradition de la femme guerrière
Abdykalykova, Solovyova et Romanovskaya font peut être partie d’une minorité, mais elles ne sont pas des anomalies. Les femmes kazakhs se sont rarement contentées de vivre derrière des écrans ou des voiles, ou de laisser leurs sorts être décidés pour elles.
Lorsque les archéologues ont commencé à faire des fouilles dans le pays, ils ont trouvé des tombes de femmes enterrées comme des guerriers, avec des arcs et des épées, des pointes de flèches dans le corps et les jambes arquées, signes d’une vie d’équitation et de combats. La pièce commémorative de 100 Tenge (monnaie kazakh) honore Tomyris, reine du peuple Massagetae, qui vivait sur ce qui est maintenant le Kazakhstan au Ve siècle avant Jésus-Christ. Elle aurait vaincu et tué Cyrus, le Grand de Perse en combat singulier.
« Il est important de se rappeler que la situation des femmes kazakhs a toujours été différente de celle des autres femmes asiatiques : elles étaient des camarades égales de leurs maris », a déclaré Abdykalykova à EdgeKz. Elle cite en exemple Rabiga, première femme dans le monde musulman à prendre part au gouvernement d’un État, ainsi qu’Aiganym Khansha, une femme kazakh qui a régné après la mort de son mari. « Ces exemples attestent du statut des femmes kazakhs dans la hiérarchie sociale à travers l’histoire », ajoute-t-elle.
Gulshara Abdykalykova
Vice-Première ministre
Ancienne ministre du travail et de la protection sociale du Kazakhstan et ancienne présidente de la Commission nationale des affaires féminines, de la Famille et de la politique démographique auprès du Président du Kazakhstan. Abdykalykova a un doctorat en économie. Elle a commencé sa carrière dans la politique nationale au ministère en 1995.
Mêmes obstacles et nouveaux défis
Cela ne signifie pas qu’aujourd’hui l’accession au pouvoir soit une tâche facile. « Il est difficile de bâtir une carrière, pour les femmes comme pour les hommes », fait remarquerSvetlana Romanovskaya. « Même si, traditionnellement, les femmes ont des fardeaux supplémentaires à porter si elles essaient de concilier famille et carrière… Après la mort de mon mari, j’ai déménagé à Astana et il a été difficile de conserver le statut d’une femme qui a réussi tout en restant une mère aimante et une hôtesse attentionnée. Vous pouvez surmonter les obstacles, mais seulement si vous êtes prêt à faire des sacrifices ».
« Il y a beaucoup d’obstacles », a déclaré Solovyova à EdgeKz. « Dans le domaine universitaire, je devais prouver mon talent à chaque étape et faire beaucoup plus d’efforts que mes collègues masculins. »
Solovyova est entrée en politique via son expérience d’entrepreneur et de chef d’entreprise. « Les premières années après l’indépendance, j’ai, comme beaucoup d’autres femmes, décidé de démarrer une entreprise, bien que j’avais un poste élevé dans un institut scientifique et que j’avais un diplôme universitaire », dit-elle. Elle a commencé à s’organiser avec d’autres entrepreneurs afin de résoudre les problèmes communs auxquels ils devaient faire face. Elle a alors formé un syndicat d’entreprise qui l’a mise en contact avec des représentants du gouvernement, la conduisant finalement à sa carrière politique. Mais la progression ne s’est pas faite sans heurts.
« Je me souviens du moment où j’ai rassemblé des entrepreneurs pour discuter de la création d’une association », poursuit-elle. « La plupart étaient des hommes, et lors d’un de mes interventions, l’un d’eux a suggéré de sortir fumer. Ils sont tous partis et m’ont laissé seule ! Plus tard, j’ai appris qu’ils s’étaient donnés rendez-vous dans un sauna et qu’ils avaient monté un syndicat là-bas, sous le même nom et utilisant la charte que j’avais proposé, mais sans moi, bien sûr ».
« Mais créer une institution et la faire fonctionner efficacement sont deux choses différentes. J’ai fait face au défi avec sang-froid et créé un groupe alternatif, avec encore plus d’entrain… À une époque, les femmes étaient absentes des associations d’entreprises au niveau national… C’est sans doute difficile à imaginer aujourd’hui, mais c’était une réalité il y a quelques années. »
Toutes les femmes ne prétendent pas que le genre soit spécialement un problème dans les affaires ou la politique. « Je ne dirais pas que j’ai affronté des obstacles particuliers parce que je suis une femme », confie Abdykalykova. « En politique, comme dans beaucoup d’autres domaines, il faut être déterminé, compétent, travailleur et avoir la capacité de travailler avec les gens. Je sais que beaucoup ont prétendu que ce n’était pas facile d’être une femme en politique. Mais la politique est une chose difficile pour tout le monde, que vous soyez un homme ou une femme. Le Kazakhstan est une société progressiste où les hommes et les femmes sont égaux en droits ».
Aigul Solovyova
Député
Aigul Solovyova a été membre du Majilis, la chambre basse du parlement kazakh, depuis 2007. Elle est membre du comité parlementaire sur la réforme économique et le développement régional, présidente du Conseil de l’Alliance civique du Kazakhstan, présidente de l’Union des femmes entrepreneurs et membre du Forum des entrepreneurs du Kazakhstan. Solovyova a un doctorat en chimie.
La politique de genre et la réalité de la condition féminine
L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et son index sur les institutions sociales, le développement, et l’égalité, a classé le Kazakhstan 14èmesur 86 pays en 2012, une amélioration de trois places au classement depuis 2009. En 2006, le pays a mis en œuvre une stratégie visant à promouvoir l’égalité des sexes pour la période 2006-2016 avec un objectif de 30% de femmes aux postes de décision à tous les niveaux de gouvernement. Le PNUD, lors de son évaluation de 2009 du plan d’action du pays pour la mise en œuvre de la stratégie d’égalité homme-femme, a qualifié les actions du pays de « très efficaces »et a rappelé que le Kazakhstan est « l’un des rares pays avec un socle législatif solide attestant avoir développé des étapes stratégiques en vue d’améliorer l’inégalité des genres ».
En 2009, le président du Kazakhstan Nursultan Nazarbayev a chargé le gouvernement de l’intégration des questions de genre dans le Plan de développement stratégique de la nation pour 2020.
« Nos femmes ont ressenti le soutien de l’État dès les premières années de l’indépendance », rappelle Abdykalykova. « La commission nationale pour les femmes et la famille a été créée en 1998 par décret présidentiel… Nous étions le premier pays de la Communauté des États indépendants à créer un mécanisme pour la mise en œuvre de la protection des droits de l’homme et des intérêts légitimes de la famille, des femmes et des enfants ».
Le Kazakhstan a déjà réalisé de nombreux objectifs du Millénaire pour le développement des Nations Unies, y compris l’égalité d’accès à l’éducation primaire et secondaire pour les filles et les garçons. Les femmes et les hommes ont le même taux de scolarisation. Depuis 2012, un plus de femmes que d’hommes se sont inscrites dans l’enseignement supérieur.
Mais l’adoption de textes de loi ne conduit pas toujours à des changements concrets sur le terrain. Plusieurs études ont relevé les réalités du sexisme dans le pays. Solovyova, très active et critique du gouvernement dans la résolution des problèmes dans la répartition des logements abordables, prétend que la nouvelle stratégie du pays (Kazakhstan 2050) pourrait faire plus pour promouvoir le bien-être des femmes, des enfants et des personnes âgées.
Femmes d’affaires
Les femmes kazakhes sont actives dans le monde des affaires. Abdykalykova a affirmé lors d’une conférence nationale que « la politique de promotion économique des femmes est le futur de la compétitivité du pays ». En novembre 2013, les femmes contribuaient à 40% du PIB du Kazakhstan. Aujourd’hui, elles représentent 52% des dirigeants de petites et moyennes entreprises et 66% de tous les entrepreneurs individuels.
Les entrepreneurs individuels sont souvent engagés dans des entreprises familiales. « Les femmes du Kazakhstan sont bien éduquées. Elles travaillent dans les petites et moyennes entreprises, considérées comme des entreprises familiales par la plupart des hommes », explique Solovyova .
Ces entreprises familiales ne servent pas de tremplin vers des postes de cadres supérieurs dans d’autres entreprises. Selon une enquête de 2011 sur les entreprises kazakhs, les femmes seraient propriétaires ou copropriétaires de 34,4% des entreprises du pays. En 2009, seulement 25% d’entre elles occupaient des postes de direction.
Femmes dans l’appareil d’État
Vingt-huit femmes siègent au parlement (sur 154 sièges). Ce chiffre a doublé entre 2000 et 2012.
Lors de la conférence de novembre 2013 sur le rôle économique des femmes, Abdykalykova a indiqué que la part des femmes dans la chambre basse du parlement du pays avait atteint 25,2%, que les femmes représentaient 25% des organes exécutifs locaux et qu’il y avait 260 femmes maires de quartiers ruraux et villageois. Jusqu’à la nomination de Abdykalykova comme vice-premiére ministre en novembre, les femmes occupaient 15,8% des postes ministériels.
La représentation des femmes dans le processus de prise de décision au Kazakhstan dépasse la moyenne mondiale, la moyenne des pays à revenu moyen-supérieur et celle de la Chine, de la Russie et d’autres pays d’Asie centrale .
Elle reste toutefois derrière celle de l’Union européenne et de l’Amérique du Nord, ainsi que derrière l’ensemble des trente pays à revenu élevé de l’OCDE. Et tandis que les femmes représentent 56% de tous les fonctionnaires, seulement 9,3% des personnes ont des responsabilités politiques. La majorité occupe des postes administratifs.
Bien que les femmes du Kazakhstan soient en train d’asseoir leurs rôles et leur pouvoir dans le pays, elles subissent aussi les effets du plafond de verre.
Pour Solovyova, de nombreuses raisons expliquent que si peu de femmes occupent des postes de haut rang. Certaines raisons sont directement liées aux choix entre famille et carrière.
« Peut-être que dans nos mentalités et nos traditions, certains éléments influencent le rôle de la femme dans la société… La politique a toujours été l’affaire des hommes, ils ne veulent pas de rivaux supplémentaires. En plus de cela, ce sont les hommes qui décident d’autoriser ou non les femmes à faire une carrière politique ou pas ». La stratégie du président est destinée à contrer cela, ajoute-t-elle.
« Les femmes sont désireuses et capables de travailler dans n’importe quel domaine », affirme Abdykalykova. sont prêtes à contribuer à l’élaboration d’une société meilleure. Mais certaines conditions doivent être remplies pour que cela fonctionne. « Plus tôt notre société surmontera les stéréotypes et prendra les femmes en compte, plus vite nous pourrons construire la société que nous voulons ».
Svetlana Romanovskaya
Député
Membre du Mazhilis, membre du Comité Mazhilis pour la législation et la réforme judiciaire et présidente de la ligue nationale des consommateurs du pays. Svetlana Romanovskaya un doctorat en droit et a étudié en Europe et en Russie la finance internationale, la médiation, l’arbitrage, et la politique commerciale.
L’avenir de la femme au Kazakhstan
« Nous n’avons jamais eu un grand nombre de femmes au gouvernement », reconnaït Abdykalykova. « Aujourd’hui, elles ont pris des responsabilités dans des domaines les plus complexes, comme la santé, l’intégration économique et la protection sociale ». Les ministères de la santé, de l’intégration économique, du travail et de la protection sociale sont tous dirigés par des femmes.
Abdykalykova dit que le gouvernement s’emploie à impliquer davantage les femmes dans la prise de décision. « Le plus important », dit-elle, « c’est qu’il y ait une compréhension de la part de la société, et des dirigeants masculins avant-gardistes ».
« Les changements ont commencé. Les femmes ont saisi les possibilités offertes par Nazarbaïev », déclare Solovyova. « Les femmes politiques ont prouvé qu’elles pouvaient être éduquées, professionnelles, motivées et compétitives ». La voie à suivre, dit-elle, est de ne pas créer d’obstacles artificiels et de continuer à travailler sur des programmes d’égalité. « La participation des femmes à la vie politique implique de trouver un équilibre entre l’approche agressive des hommes et une approche trop timorée ».
Il y a un débat, bien sûr, sur la façon de parvenir à cet équilibre. « Je suis contre la représentation égale créée artificiellement », a déclaré Romanovskaya. « Si une femme est intelligente, elle peut tenter sa chance dans ce domaine. Mais en tant que député du Majilis, je peux dire que c’est une responsabilité et une pression que beaucoup de femmes seront en mesure de supporter. Dans tous les cas, je ne soutiens pas l’inégalité entre les sexes. L’efficacité globale, du parlement, par exemple, ou de toute autre institution politique, ne dépend pas de la proportion d’hommes et de femmes qui y travaillent, mais de la dynamique qui y est insufflée ».
Toutes les trois veulent accomplir encore beaucoup. Solovyova travaille notamment à accroître l’influence du public et à développer l’impact des collectivités locales sur la prise de décision. Abdykalykova essaye de faire avancer les objectifs de la Commission nationale sur la femme et la famille, en collectant les meilleures pratiques à l’étranger. Elle supervisera désormais le « bloc social des responsabilités » tant que vice-première ministre. Romanovskaya travaille à la création d’une association eurasienne de médiateurs ; une structure, qui, selon elle, jouera un rôle important dans un contexte d’intégration régionale renforcée.
« Je n’ai jamais regretté d’avoir choisi cette voie », précise Romanovskaya . « Notre qualité de vie dépend de nous et il est en notre pouvoir de faire quelque chose pour améliorer nos vies ».
Comparaison entre les femmes kazakhs et ses homologues étrangères :
Pays | Proportion de sièges occupés par des femmes dans les parlements nationaux (%) | Proportion de femmes dans les postes de niveau ministériel (%) |
---|---|---|
Kazakhstan | 24.3 | 15.8 |
Asie centrale (à l’exception du Kazakhstan) | 20.3 | 9.2 |
Chine | 21.3 | 11.5 |
Russie | 13.6 | 15.8 |
Les pays à revenu moyen et supérieur | 21.9 | 15.2 |
Pays à revenu élevé | 23.8 | 19.7 |
Union européenne | 25.7 | 24.4 |
Source : Banque mondiale (2012)