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Ramazan Tianguber, portrait d’un jujitsuka kirghiz en or

Du haut de ses 17 ans, Ramazan Tianguber est l’unique médaillé d’or du Kirghizstan aux Jeux Asiatiques de la jeunesse 2025. Novastan l’a rencontré à Bichkek, et dresse le portrait de ce jujitsuka talentueux et plein d’ambition.

Ramazan Tianguber, jujitsuka kirghiz en or. Crédit : Fédération kirghize de jiu-jitsu
Ramazan Tianguber, jujitsuka kirghiz en or. Crédit : Fédération kirghize de jiu-jitsu

Du haut de ses 17 ans, Ramazan Tianguber est l’unique médaillé d’or du Kirghizstan aux Jeux Asiatiques de la jeunesse 2025. Novastan l’a rencontré à Bichkek, et dresse le portrait de ce jujitsuka talentueux et plein d’ambition.

Les cris de joie ont retenti autour du tatami lorsque Ramazan Tianguber a gagné son dernier combat pendant les Jeux Asiatiques de la jeunesse, le 31 octobre 2025. Poing levé, le jeune athlète est sacré champion en jiu-jitsu dans la catégorie 69 kilos – une victoire historique pour le Kirghizstan, qui obtient sa première médaille d’or dans la discipline. 

Novastan est parti à la rencontre de ce jeune jujitsuka une semaine après la compétition à Bichkek, la capitale kirghize. Il livre avec beaucoup d’émotion sa première interview, revenant sur ses débuts dans le jiu-jitsu jusqu’à sa médaille internationale. 

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L’unique Kirghiz médaillé d’or aux Jeux de la jeunesse asiatique

Compétition réservée aux mineurs, la troisième édition des Jeux asiatiques de la jeunesse 2025 s’est tenue sur l’île de Bahreïn du 22 au 31 octobre. L’événement se déroulant tous les 4 ans était attendu de longue date, puisque les deux éditions précédentes avaient été annulées ; en 2017 à cause de l’absence de ville hôte, et de la pandémie du Covid-19 en 2021.

L’Asie centrale était fortement représentée avec une délégation de 710 athlètes venus du Kazakhstan, du Kirghizstan, d’Ouzbékistan, du Tadjikistan, du Turkménistan et même d’Afghanistan. Au terme de dix jours de compétition, la Chine a remporté la première place au tableau des médailles, loin devant l’Ouzbékistan, deuxième avec 37 médailles d’or, et le Kazakhstan, troisième avec 24 médailles d’or.

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Détenteur de l’unique médaille dorée de la délégation kirghize, Ramazan Tianguber fait la fierté de son pays. Âgé de 17 ans, le jujitsuka était l’un des espoirs de médailles de son pays, et n’a pas déçu. Il suit depuis février un plan d’entraînement très complet afin d’être à son pic de forme pour cette compétition internationale. Préparation physique, mentale, stratégie, technique ; aucun aspect n’a été négligé. 

Pendant le tournoi, je me sentais bien physiquement et mentalement”, affirme le jeune athlète. Ce que démontre son enchaînement de victoires lors du tournoi, lui permettant de décrocher la médaille d’or. Il attribue cette réussite à Abdrahman Murtazaliev, son coach pour les compétitions internationales, qui l’a beaucoup aidé à se préparer avant les combats, mais surtout au soutien de son père et coach personnel depuis son enfance. 

Le jiu-jitsu, une affaire de famille et d’égalité

Dans la famille de Ramazan Tianguber, l’amour du jiu-jitsu est transmis de père en fils – mais aussi en fille. Femme ou homme, le tatami ne fait aucune discrimination : comme ses sœurs, Ramazan Tianguber pratique le jiu-jitsu sérieusement depuis ses huit ans. “Dans mon sport, les hommes ne dominent pas les femmes. Le jiu-jitsu est un sport d’égalité, et ma famille souhaite être un exemple de cette parité homme-femme. Ma petite sœur entraîne même le groupe des jeunes.

Presque dix ans plus tard, c’est toujours son père qui l’entraîne. “Mon père et moi avons construit une salle d’entraînement juste à côté de notre maison, et il coach notre groupe là-bas”, explique-t-il. Cette proximité avec son domicile lui permet de combiner ses études et ses entraînements à Aleksandrovka, sa ville natale, à l’ouest de Bichkek. 

Le soutien de sa famille a été essentiel lors de sa préparation aux Jeux de la jeunesse asiatique mais également lors des célébrations. A son arrivée à l’aéroport après sa victoire, Ramazan Tianguber a été accueilli par tous ses proches avant de déguster le plov qu’ils avaient cuisiné – plat emblématique en Asie centrale. “Mon seul objectif est de rendre mes parents heureux. Ils me soutiennent énormément, tout comme mes amis. Cela m’inspire encore plus.”

L’histoire d’une revanche : trajectoire d’une étoile montante du jiu-jitsu

Médaillé en 2025, Ramazan Tianguber revient de loin. Pour gagner les Jeux de la jeunesse asiatique, il lui a fallu rebondir après l’immense déception des Championnats du monde d’Astana en 2023. 

“J’avais déjà une certaine expérience à l’international, je savais que je pouvais ramener une médaille pour le Kirghizstan. Malheureusement, mon premier combat s’est terminé par une défaite. Pendant le tournoi, mes concurrents combattaient de manière totalement différente. Je sentais que j’étais en meilleure forme physique qu’eux, plus rapide, peut-être même plus fort mentalement – mais je continuais à perdre sans savoir pourquoi”, raconte Ramazan Tianguber. 

Plus tard, le jeune athlète apprend la source de sa défaite : un changement de réglementation que l’ensemble de la délégation kirghize ignorait. “C’est parce que les autres athlètes obéissaient aux règles qu’ils nous ont battus. J’ai combattu 6 matchs, perdu le premier, puis j’ai gagné les 4 combats de consolation avant de perdre une nouvelle fois pour la médaille de bronze. Après ma défaite, j’étais inconsolable. C’était une tragédie de perdre simplement à cause de règles que j’ignorais. J’ai beaucoup pleuré”, avoue-t-il.

Cette compétition a été une grande frustration pour tous les jujitsukas du Kirghizstan, puisque sur les 30 représentants de la délégation, pas un seul n’a ramené de médaille. Cette défaite nationale a marqué un tournant dans l’organisation du sport au niveau national. “Nous avons discuté avec toute l’équipe et les coachs de toutes les régions de ces nouvelles règles et de comment les appliquer. C’est à ce moment-là, je pense, que le jiu-jitsu a commencé à se développer.”

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Après quelques tournois, Ramazan Tianguber s’est ensuite rendu aux Championnats d’Asie à Abu Dhabi, en 2024. Malgré sa préparation, il finit encore perdant. S’il se dit très déçu de sa performance, il admet qu’avec du recul, il y avait déjà beaucoup de progrès : il lui fallait seulement être patient.

C’est en février 2025 qu’il récolte enfin les fruits de son travail, en gagnant les Championnats d’Asie en Thaïlande. “Je n’étais pas le seul à recevoir des médailles, le reste de l’équipe nationale kirghize combattait mieux aussi”, tient-il à souligner. En seulement deux ans, le voilà sorti du tunnel – une capacité d’adaptation impressionnante pour l’athlète de seulement dix-sept ans.

Discipline et stratégie comme maîtres-mots

Dans la pratique du jiu-jitsu, c’est le côté stratégique qui plaît à Ramazan Tianguber. “Le jiu-jitsu est comme le jeu d’échecs. C’est un art martial, mais la stratégie est très importante. Il faut penser avec sa tête, imposer sa tactique,” déclare le jeune athlète kirghiz, avant d’ajouter en souriant qu’il ne joue pas pour autant aux échecs.

Grâce au jiu-jitsu, j’ai appris qu’un grand nombre de choses ne pouvait pas être résolu par la force. Il faut réfléchir, et parfois, il suffit de discuter avec les gens”, conseille-t-il. “Surtout, il faut travailler dur, être têtu. Ne pas abandonner et essayer, encore et encore. C’est lorsque l’échec advient qu’il faut continuer, jusqu’à ce que cela fonctionne.”

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Lorsque Ramazan Tianguber est interrogé sur les qualités nécessaires pour réussir dans son sport, il répond ainsi sans hésiter : “la discipline.” Cette qualité qu’il décrit comme nécessaire à tout sportif lui a permis de surmonter ce qui lui semblait parfois impossible.

Immersion dans le quotidien d’un sportif aux grandes ambitions

Pour le jeune kirghiz, l’excellence se révèle dans la polyvalence. S’il est connu pour ses prouesses sportives, Ramazan Tianguber a également soif de savoir. “J’étudie le matin, et dès mon retour à la maison, je commence l’entrainement. Je n’ai pas toujours le temps de faire mes devoirs le soir, mais les professeurs comprennent. Tout le monde me soutient”, explique-t-il avec reconnaissance. 

Une charge d’entraînement qui ne l’empêche pas de briller à l’école, où il a longtemps été premier de la classe. “Mon père m’a toujours répété que le sport était une chose, mais que les études devaient être ma priorité. En seconde et en première, mes résultats ont un peu baissé, mais je travaille pour revenir à l’excellence.”  

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Après le lycée, Ramazan Tianguber souhaite aller à l’université sportive pour finir ses études. Avec une licence, il pourra s’immerger totalement dans le monde du sport. Devenir professionnel lui permettrait de s’occuper des athlètes au niveau national, et le gouvernement lui verserait un salaire.

A ces ambitions professionnelles s’ajoute une grande ouverture au monde par le biais des langues. Bilingue en russe, le jujitsuka apprend le kirghiz grâce au sport, et l’anglais à l’école. Il envisage également l’étude de l’arabe et du chinois. “Si j’apprends ces langues, je pourrais travailler comme traducteur, commentateur sportif ou même interviewer des gens« .

Du côté du sport, Ramazan Tianguber ne rêve pas : il a des objectifs bien précis. A long terme, il vise l’or aux Jeux Olympiques si le jiu-jitsu venait à devenir un sport olympique. En attendant, sa prochaine échéance sont les Championnats d’Asie, cette fois, toutes catégories confondues. Un rêve ambitieux pour le jujitsuka qui n’aura que dix-huit ans, et sera le plus jeune de la compétition. 

Un sport individuel, une pratique collective

Pour arriver au plus haut niveau, Ramazan Tianguber souligne constamment l’investissement de toute son équipe, ses entraîneurs et sa famille. Bien que le jiu-jitsu soit un sport individuel, sa pratique est collective et fondée sur le respect d’autrui, l’honneur et l’humilité.

Les compétitions internationales sont l’occasion de raviver l’esprit d’équipe – une qualité qui ne manque pas au jeune jujitsuka. Aux Jeux de la jeunesse asiatique, l’athlète a mené son équipe vers la 4ème place avec Abdusomad Tynchtykbekov et Mukhammed Mukhamed, ses deux compatriotes kirghiz, troisièmes dans leurs catégories respectives. “Ils sont très heureux pour moi et me soutiennent beaucoup. Nous allons nous préparer au mieux pour réussir tous ensemble lors de la prochaine échéance, l’an prochain.”

Sa bonne entente avec son adversaire kazakh Rafael Orumbayev est même devenue célèbre sur les réseaux sociaux grâce à une vidéo virale de leur accolade. “Nous sommes dans la même catégorie de poids et d’âge, donc nous nous retrouvons souvent en finale ensemble. Selon les compétitions, c’est souvent soit lui, soit moi qui gagne !

Représentants de leurs pays respectifs, Ramazan Tianguber et Rafael Orumbayev reflètent la bonne entente du Kirghizstan et du Kazakhstan, qu’on surnomme souvent les “pays frères”. “Avoir un tel adversaire est un honneur. Je lui souhaite d’obtenir tout ce qu’il veut, et beaucoup de chance dans les prochaines échéances à venir”, déclare-t-il. 

Le jiu-jitsu, un sport en expansion

Depuis quelques années, le jiu-jitsu devient de plus en plus populaire – pas seulement au Kirghizstan, mais également dans le monde. “Cela fait plaisir de voir le jiu-jitsu se développer dans le pays. Cela veut dire que les compétiteurs vont atteindre de meilleurs résultats, être plus performants. Nous allons pouvoir représenter le Kirghizstan à l’international, au plus haut niveau”, explique le jeune athlète. 

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Originaire de la communauté doungane, Ramazan Tianguber se dit honoré de porter les couleurs de son pays. “Je rêve que le monde entende l’hymne du Kirghizstan et le chante, la main sur le cœur.” La popularité grandissante du jiu-jitsu est également une fierté pour les entraîneurs comme son père, qui redoublent d’efforts pour attirer les Kirghiz dans leurs salles de sport. 

Du côté des femmes, des groupes de jiu-jitsu féminins ouvrent de plus en plus dans les clubs, notamment dans le sud du pays. “Pour les femmes, la pratique du jiu-jitsu se développe moins rapidement que chez les hommes, mais il y a des progrès”, affirme le jeune athlète.  Si laisser les femmes découvrir le jiu-jitsu peut paraître anodin, cette simple pratique sportive pourrait permettre de lutter contre la forte influence patriarcale, particulièrement marquée dans les régions d’Osh et de Batken, dans le sud du pays.

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Pour Ramazan Tianguber, cette nouvelle popularité du sport se traduit par un début de célébrité. Désormais, des inconnus le reconnaissent dans la rue et lui demandent de prendre des photos. “Ce matin même, alors que j’étais dans le taxi, un homme m’a reconnu et m’a félicité de ma victoire. Je suis un peu timide, alors je dois m’y habituer”, explique le jeune athlète. “Cela me fait à la fois très plaisir de devenir de plus en plus populaire, mais une partie de moi aime beaucoup le silence et le calme.”

Ambitieux mais modeste, Ramazan Tianguber garde les pieds sur le tatami. Alliant sport de haut niveau, scolarité exemplaire et engagement pour un sport égalitaire, le jeune jujitsuka kirghiz a de beaux jours devant lui.

Salomé Aldeguer-Roure

Rédactrice pour Novastan

Ak-Maral Adbumazhitova

Traductrice durant l’interview

Relu par Charlotte Bonin

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